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- Design et pub au Québec: 70 ans de révolution graphique
Publicités, identités visuelles, génériques de films, emballages de produits, plateformes numériques, œuvres d’art… Qu’il soit à des fins tangible ou virtuelle, le design graphique teinte de multiples façons le vaste monde visuel qui nous entoure, prenant souvent le pari de nous faire voir celui-ci sous des angles insoupçonnés et innovants.
Tour à tour, graphiste, directeur artistique/de création et consultant en stratégie-création de marques, le Trifluvien Denis Roy œuvre dans cet univers foisonnant depuis 40 ans. Président fondateur de l’agence de communication Egzakt durant trois décennies et fils de Roger Roy, graphiste fondateur du premier atelier de photocomposition en Mauricie, il retrace et analyse, sur la base de son riche parcours personnel, pas moins de 70 années d’évolution, de moments phares et d’influences du design graphique et de la publicité au Québec et en Mauricie.
© Denis Roy
Quelle est la genèse du design graphique au Québec et qui en sont les précurseurs?
Je dois avouer que je ne suis pas un expert en histoire des arts graphiques, mais avant les années 60, disons que les graphistes œuvraient principalement dans trois grands types d’entreprises. D’abord, il y avait les journaux pour lesquels, en plus de la mise en page de leurs publications, les graphistes devaient concevoir et monter les publicités pour les annonceurs. Il y avait aussi les imprimeurs chez qui ils pouvaient faire divers travaux d’édition, des pièces de papeterie (entêtes, enveloppes, cartes d’affaires, etc.) ou des documents promotionnels. Enfin, les lettreurs (entreprises de fabrication d’enseignes) créaient tout ce qu’on pouvait voir dans notre environnement quotidien (enseignes de commerce, panneaux-affiches, lettrage de vitrines).
Quelles ont été les premières manifestations publiques de design graphique dans les paysages québécois et mauricien?
C’est clair que, pendant longtemps, c’est surtout dans les journaux et via les enseignes qu’on était exposés aux créations des graphistes. Il y avait aussi les cartes d’affaires, les « cartons publicitaires » et les calendriers. Mais avec la Révolution tranquille, les années 70 et les avancées technologiques (procédé offset et photocomposition) – qui ont rendu les coûts d’impression plus abordables – on a vu se démocratiser les affiches, les dépliants et apparaître de nouveaux périodiques plus imagés (par exemple : Image de la Mauricie). Le site de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BaNQ) et le groupe Facebook «Trois-Rivières illustré» (initié par René Beaudoin) permettent de le constater
Y a-t-il des moments phares dans l’évolution temporelle du design graphique?
En Mauricie, le tournant des années 60-70 s’est avéré marquant pour le secteur des arts graphiques. L’arrivée de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et du Cégep de Trois-Rivières a amené des formations plus approfondies, et surtout plus actuelles, dans le domaine des arts visuels. À la fin de leurs cours, plusieurs diplômés se sont dirigés vers les arts graphiques. Certains professeurs œuvraient également comme designers (Lévis Martin, Pierre Rivard, Richard Normandin) et on leur doit certaines des premières créations à caractère plus contemporain en Mauricie.
Au cours des années 60, on a vu apparaître les premières agences de publicité à propriété québécoise, ce qui a débouché sur les premières campagnes de pub vraiment adaptées à la réalité du Québec. Les mouvements liés à la culture (et la contre-culture) ont également joué un rôle non négligeable dans la démocratisation du design graphique comme outil de communication (cinéma, musique, théâtre, magazines, etc.) Certaines publications (Mainmise, Québec Rock, Nous), pochettes de disque (Charlebois, Offenbach, Ferland) et affiches de film ont marqué ce changement d’ère.
Couverture du magazine Mainmise (mars 1973)
Pochettes de disque : Charlebois – Le Mont Athos (1970), Offenbach – Tabarnac (1975), Harmonium – Harmonium (1976)
Il y a également de grands événements qui ont marqué des étapes cruciales dans la sensibilisation au design plus évolué; il n’y a qu’à penser à l’Expo 67 de Montréal sur le thème «Terre des Hommes» ou aux Jeux olympiques de 1976.
Dans l’espace public, on a également vu plusieurs institutions québécoises commencer à se doter d’une identité visuelle (logos) plus «modernes» : le Métro de Montréal, la CIP (Canadian International Paper Company, dont l’usine trifluvienne occupait le site de Trois-Rivières sur Saint-Laurent), l’ONF (Office national du film du Canada), la Banque de Montréal, etc.
Logos : Terre des hommes/Expo67 (Julien Hébert, 1963), Office national du film du Canada (Georges Beaupré, 1968), Métro de Montréal (Jacques Roy, 1964), Banque de Montréal (Hans Kleefeld, 1966), Canadian International Paper Compagny (Frank Lipari, 1965), Jeux olympiques de Montréal (George Huel, 1972)
Le design et la publicité sont partie prenante de ton historique familial. Parle-nous de ta génétique graphique…
Tout me vient de mon père Roger. Il a interrompu son cours classique au Séminaire Saint-Joseph pour se tourner vers une formation en «dessin commercial» à l’École des Métiers (dont je suis voisin immédiat depuis 25 ans). Peu après l’obtention de son diplôme, il a mis sur pied son propre atelier de lettrage d’enseigne (AL-REX) qu’il a opéré durant les années 50.
Camion du Studio Al-Rex, la compagnie de lettrage de Roger Roy, père de Denis, dans les années 50.
Ses services allaient du lettrage de véhicules ou de vitrines, aux techniques de feuille d’or (pour bureau de médecins ou d’avocats) et aux enseignes à grandes dimensions («billboards») pour des clients commerciaux ou industriels.
Par la suite, il a travaillé comme graphiste, puis expert en pelliculage (préimpression) dans différentes firmes : Imprimerie de la Rive Sud, Imprimerie des Forges (où il a travaillé sur le Boréal Express), Blouin Desaulniers (signalisation routière et sérigraphie), Imprimerie Vallières et Imprimerie Arts Graphiques.
La «une» de la première édition du Boréal Express (novembre 1962)
En 1976, avec les Vallières, il a mis sur pied le premier atelier de photocomposition de la région : CompoArt. Deux ans plus tard, c’est là que j’ai eu mon premier emploi d’été digne de ce nom, où j’ai appris les rudiments de la typographie, de la chambre noire, de la préparation pour l’impression et du brûlage de plaque. Cette expérience a eu pour résultat que j’en connaissais presque autant que mes profs de graphisme quand j’ai commencé ma deuxième année au programme Arts et technologies des médias (ATM) – option publicité du Cégep de Jonquière.
Cet article est le premier d’une série de trois. Pour lire la suite, c’est par ici.
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Collaboration à la rédaction de Cindy Rousseau