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- Design et pub au Québec: Virage techno et ubiquité
Publicités, identités visuelles, génériques de films, emballages de produits, plateformes numériques, œuvres d’art… Qu’il soit à des fins tangibles ou virtuelles, le design graphique teinte de multiples façons le vaste monde visuel qui nous entoure, prenant parfois le pari de nous faire voir celui-ci sous des angles insoupçonnés et innovants.
Tour à tour, graphiste, directeur artistique/de création et consultant en stratégie-création de marques, le Trifluvien Denis Roy œuvre dans cet univers foisonnant depuis 40 ans. Président fondateur de l’agence de communication Egzakt durant trois décennies et fils de Roger Roy, graphiste fondateur du premier atelier de photocomposition en Mauricie, il retrace et analyse, sur la base de son riche parcours personnel, pas moins de 70 années d’évolution, de moments phares et d’influences du design graphique et de la publicité au Québec et en Mauricie.
© Denis Roy
Quel a été l’élément déclencheur de ton envie de faire carrière dans le domaine du design graphique et de la publicité?
J’avais choisi de faire une technique en ATM en pensant opter pour l’option télé; probablement en journalisme ou en animation. La première année en était une de tronc commun (principes de la communication, actualité, communication orale, etc.) mais, au cours de celle-ci, un mélange de mon expérience de travail (d’été) ainsi que la découverte de ce qu’était la formation en publicité m’ont fait changer d’option. Le cours se terminait par un stage en entreprise et un concours de circonstances m’a permis de faire celui-ci chez Dialogue Communication qui venait tout juste de gagner le prix de l’agence de l’année du Publicité Club de Montréal. Ce séjour de cinq semaines (qui s’est transformé en 3 ans et demi) a achevé de me faire tomber en amour avec le métier de communicateur graphique publicitaire et j’en suis sorti avec une solide expérience de directeur artistique et de directeur de production.
Article sur l’agence Dialogue Communication (Le Devoir, 1979)
Pendant ma période montréalaise (1980-1987), j’ai œuvré dans trois agences et travaillé sur plusieurs comptes d’importance. Ces clients prestigieux m’ont obligé à relever mon niveau de professionnalisme rapidement et m’ont définitivement donné la piqûre du métier : La Baie, Radio-Québec (devenue Télé-Québec), la SAQ, Simpsons (avec Céline Dion comme porte-parole), Rona, la brasserie O’Keefe, Gaz Métropolitain (devenue Énergir), Métro-Richelieu, Chaussures Bata, Wardair. La liste est longue et plusieurs sont disparus au gré des fusions, des acquisitions ou des changements d’identité, mais tous ont eu un rôle significatif dans ma vision du métier.
De gauche à droite : Les logos de La Baie, Radio-Québec (devenue Télé-Québec), Simpsons, Gaz Métropolitain (devenue Énergir), Rona, Wardair Canada, Brasserie O’Keefe (acquise par Molson), Chaussures Bata et Métro-Richelieu.
À l’automne 1985, quand j’étais chez Images & Mots, Daniel Larouche, un consultant en relations publiques qui partageait nos bureaux du Vieux-Montréal, avait Macintosh Plus de Apple dans son bureau. Je regardais la chose avec beaucoup de curiosité. Au point où il m’en a enseigné les rudiments et m’a permis de l’utiliser lorsqu’il était absent. Ce fut tout un choc! La précision de ce nouvel outil permettait une qualité d’exécution jusqu’alors inimaginable. On en était tous aux premiers balbutiements de l’infographie. Dans les mois qui ont suivi, j’ai donc fait l’apprentissage par moi-même avec des copies de logiciels… sans les manuels. Comprendre comment fonctionne PageMaker 1.0 pas de livre, fallait vouloir.
Macintosh SE30 (1987) et interface du logiciel PageMaker 1.0 de Aldus (1985)
Évolution de l’identité visuelle d’Egzakt
Au printemps suivant, l’atelier de typographie avec lequel on travaillait quotidiennement s’est porté acquéreur d’une des premières (sinon « la ») Linotronic 300 (RIP3) au Canada. Cette imprimante PostScript de qualité prépresse permettait enfin de produire du matériel professionnel à partir du Mac. Avant d’offrir ce nouveau service aux agences de pub, ils ont voulu le roder et m’ont demandé d’être leur bêta-testeur pendant quatre mois. Pour faire une histoire courte, à la fin de la période d’essai, mes collègues ont déclaré qu’ils ne croyaient pas que l’ordinateur allait remplacer la table à dessin. Il n’en fallait pas plus pour m’inciter à partir à mon compte et à en profiter pour revenir au bercail, à Trois-Rivières. Neuf mois plus tard, on ouvrait Egzakt qui était, à l’époque, le premier atelier de design graphique entièrement numérique au Québec… possiblement au Canada.
En quoi cette discipline ne cesse de te passionner au fil des années?
En fait, le design graphique, c’est une foule d’applications regroupées sous une grande discipline. Au fil des ans, avec la multiplication des plateformes de communication et la spécialisation relative à chacune d’elles, on a vu apparaître de nombreux champs d’expertise. Les premières sont plus traditionnelles et jouissent de décennies de savoir et de perfectionnement: publicité, édition, emballage, illustration, identité visuelle, affichage, signalisation. D’autres sont nées avec l’ère numérique, principalement tout ce qui concerne les écrans comme le design web ou d’applications mobiles (interface, UI/UX, etc.), l’animation 2D ou 3D et la visualisation de données. Chose certaine, l’avènement de l’infographie a fait disparaître plusieurs métiers qui ont été intégrés aux tâches du designer graphique. C’est le cas du typographe, du séparateur de couleurs, du pelliculeurs, pour ne nommer que ceux-ci.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas rare de toucher, au cours de sa carrière, plusieurs de ces spécialités. À chaque fois, ce sont de nouveaux apprentissages et la découverte de nouveaux principes de communication. Pour qui est curieux et avide de défis professionnels, c’est un intérêt sans cesse renouvelé. Pareil pour les différents secteurs d’activité pour lesquels on travaille. Il y a un monde de différence entre la promotion d’un fabricant de matelas ou d’une destination touristique, entre la démonstration des avantages techniques d’une composante de machine à papier ou d’une application de formation en ligne, et entre la sensibilisation à la culture ou à une cause humanitaire. Chaque fois, c’est un nouvel univers, un nouvel écosystème, avec ses règles et ses codes qu’il faut découvrir. Encore là, on peut évoluer sans cesse et ne jamais s’encrasser.
Mais par-dessus tout, c’est la conscience de notre rôle dans l’accompagnement de gens passionnés qui ont leurs projets et leurs organisations à cœur qui est le principal moteur de ma motivation et de mon amour du métier. On intervient presque toujours à des moments cruciaux de leur évolution: prédémarrage d’entreprise, lancement de nouveaux produits ou services, positionnement de marque, campagne majeure. Notre responsabilité est de saisir les objectifs de l’équipe pour laquelle on travaille et d’en transmettre l’essence à travers nos créations. À partir du moment où on transforme ces aspirations en éléments de design, où on les concrétise fidèlement, il se passe quelque chose de magique parce qu’on vient d’outiller notre client et on l’aide à accomplir ce qu’il cherche à atteindre.
Aujourd’hui, je joue davantage le rôle de directeur de création que de designer ou de directeur artistique. Ça m’amène à découvrir, à comprendre et à apprécier les rouages de ces différents domaines afin de travailler avec ces experts à l’atteinte des objectifs spécifiques des mandats qui nous sont confiés. Ce qui est fascinant, c’est cet éternel apprentissage.
Carte du métro de Montréal dont le style a été préservé depuis sa création en 1966 et interface de l’application cartographique Waze
À ton avis, quel est le pouvoir d’influence du design grahique dans l’évolution de la société?
Les impacts du design graphique dans notre quotidien et dans notre histoire sont multiples. Au jour le jour, il sert entre autres à nous diriger dans l’espace public par la signalisation et la cartographie. La carte du métro de Montréal – dont le style n’a pour ainsi dire pas changé depuis 1966 – est un des premiers exemples québécois d’un effort de schématisation visuelle visant à simplifier la compréhension d’un réseau complexe et « invisible ». Élément intéressant, l’historien montréalais Gilles Laporte a utilisé cette même carte comme base pour nous informer de l’origine du nom des stations.
Aussi, l’infographie nous aide à mieux saisir l’ampleur de certains phénomènes et à comprendre des concepts complexes par la visualisation de données et la vulgarisation graphique. Deux des exemples les plus percutants de l’apport des designers en ces matières sont sûrement la vidéo graphique One Race, Every Medalist Ever réalisée par l’équipe du New York Times pour les Olympiques de 2012 afin de comprendre l’évolution de cette discipline athlétique depuis le début des jeux modernes, et le documentaire graphique The Water We Eat conçu par Angella Morelli de InfoDesignLab pour nous permettre de saisir l’impact de nos choix alimentaires sur la consommation d’eau. Une autre source d’inspiration que je trouve fascinante est le subreddit DataIsBeautiful qui est consacré à la représentation esthétique des données.
D’un point de vue sociétal, le graphisme a toujours été un des outils privilégiés pour faire avancer les causes sociales et la culture. Dans l’histoire, une des périodes ayant généré beaucoup d’affiches très fortes en faveur des revendications citoyennes est Mai 68 en France. Plus de 40 ans plus tard, ce mouvement servit d’inspiration aux membres de l’École de la Montagne Rouge issue du département de design de l’UQÀM, qui fut active tout au long du printemps étudiant de 2012.
Affiches du Printemps érable créée par l’École de la Montagne Rouge de l’UQAM (2012)
Au fil du temps et encore aujourd’hui, les affichistes et les publicitaires rivalisent de créativité pour donner une voix forte aux causes humanitaires et environnementales. Historiquement, les designers ont également travaillé étroitement pour soutenir les partis politiques. À cet égard, dans les années récentes, il faut souligner l’inventivité de l’équipe de Québec Solidaire qui a su s’entourer d’artistes imaginatifs et talentueux pour porter leurs messages électoraux et mettre de l’avant les causes que le parti défend.
Au fil des ans, la présence du design graphique dans notre environnement visuel a pris de plus en plus de place. De plus, sa pratique a gagné en originalité et en pertinence communicationnelle; désormais, le citoyen moyen est constamment exposé à des concepts de qualité et son esprit critique face à cette discipline s’est grandement développé. Il n’est donc pas étonnant de constater la richesse du talent chez la relève… c’est ce dont je vais vous parler dans le troisième et dernier volet de ce dossier.
Cet article est le deuxième d’une série de trois. Pour lire le premier, c’est par ici ; pour lire le troisième, c’est par là.
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Collaboration à la rédaction de Cindy Rousseau