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21 février 2023
Du Costa Rica au Canada : quand l’objet de consommation devient objet d’art
Regardez autour de vous. Votre maison recèle d’objets utiles ou non. Achats impulsifs en magasin, trucs que tout le monde semble avoir, objets achetés après avoir vu une publicité ou la capsule d’un influenceur sur le Web. Vous ne le savez sûrement pas, mais vous possédez assurément une collection de l’artiste Juan Ortiz-Apuy.
Collectionner l'inutile
En fait, peut-être pas une collection, mais une copie des objets que lui-même possède, que nous avons tous et toutes en trop grande abondance et qui finissent invariablement dans le fond d’un tiroir ou dans la benne à ordures.
Originaire du Costa Rica mais établi à Montréal depuis 2003, Juan Ortiz-Apuy ne peut s’empêcher de comparer la diversité naturelle de son pays natal à la multitude d’objets de fabrication humaine que nous avons. Au point où il en a développé une véritable réflexion sur l’objet de consommation, ainsi qu’une étrange fascination pour le Dollorama, territoire de prédilection de l’achat compulsif.
Il s’intéresse aussi au phénomène de la publicité et des médias sociaux qui nous influencent à acheter toujours plus en agissant directement sur notre manière de consommer. Avec humour, il travaille ses œuvres en réponse à notre relation aux objets, à leur fonction, à leur accumulation et aux futurs impacts de celle-ci.
Pour en apprendre davantage sur la démarche de Juan Ortiz-Apuy, on vous invite à regarder la capsule qui suit réalisée par La Fabrique culturelle.
regarder la capsule« Dans trois cents ans, qu’est-ce que les archéologues vont déterrer et penser de nous ? »
Juan Ortiz-Apuy
© Juan Ortiz-Apuy, Tropicana, 2020, image fixe, vidéo, 7 min 32 s. Avec l’aimable permission de l’artiste.
Quand le tropical fait vendre
Conçue au Centre VOX à Montréal, Tropicana est une exposition jeunesse où les objets sont mis de l’avant pour faire réfléchir les visiteur·es à leur relation avec ceux-ci. L’objet donne en lui-même les instructions pour l’utiliser.
En arrivant au Canada, Juan Ortiz-Apuy a été frappé de constater à quel point on utilise l’exotique et le tropical pour vendre, surtout dans les publicités de produits destinés aux jeunes. On y met des animaux, des végétaux, des sons et des éléments tropicaux pour rendre le tout plus attrayant. Produits nettoyants, céréales, ou encore, le fameux jus d’orange Tropicana qui lui a inspiré le nom de son exposition.
Pour en apprendre davantage sur comment Juan a conçu son exposition, on vous invite à regarder son entretien donné lors du passage de son exposition au Centre VOX en 2021.
© Juan Ortiz-Apuy, Tropicana, 2020, image fixe, vidéo, 7 min 32 s. Avec l’aimable permission de l’artiste.
Consommer son expo à l’Espace Pauline-Julien
De passage à l’Espace Pauline-Julien du 18 février au 7 mai 2023, l’exposition Tropicana s’adresse particulièrement aux jeunes de 6 à 14 ans, mais demeure accessible au grand public, évidemment. L’espace, qui ouvre habituellement les samedis et dimanches, sera exceptionnellement ouvert toute la semaine de relâche (sauf le lundi) pour permettre aux jeunes et aux familles de venir tenter l’expérience, et ce, gratuitement.
© Juan Ortiz-Apuy, Tropicana, 2020, image fixe, vidéo, 7 min 32 s. Avec l’aimable permission de l’artiste.
Marie-Andrée Levasseur, directrice des arts visuels à Culture Trois-Rivières, explique qu’ils ont eu envie de programmer l’exposition de Juan Ortiz-Apuy d’abord et avant tout parce qu’elle s’adresse à la jeunesse. « Recevoir une expo jeunesse était pour nous l’élément déclencheur. » Selon elle, il y en aurait peu dans le domaine de l’art actuel qui s’adresse à ce groupe d’âge, d’où l’intérêt. De plus, avec ses éléments numériques, son côté très coloré, l’importante présence d’effets sonores et la démarche de l’artiste, l’expo d’Ortiz-Apuy se révèle ludique et accessible.
« Il a adapté sa démarche pour les jeunes, pour jouer avec les objets et pour stimuler la curiosité à peut-être voir l’objet de consommation de façon différente. Il voulait vraiment créer dans l’expo une interaction entre les visiteurs et les objets pour avoir un contact avec la matière comme lui dans son travail » précise Madame Levasseur.
On peut donc s’attendre à toucher, manipuler certains objets. Bref, à vivre une expérience visuelle, sonore et tactile. Une activité complémentaire d’association entre les sons et les objets sera d’ailleurs disponible les samedis 11 mars, 1er avril et 22 avril à 10h.
Un sujet qui résonne chez les artistes de chez nous
Geneviève Baril et Josette Villeneuve, deux grandes artistes de notre région sont conscientes de réfléchir davantage aux choix qui impactent notre environnement. La première habitant le bord du fleuve à Champlain, la seconde vivant à Shawinigan entre ville et nature.
Comme nous tous·tes, elles sont habitées d’un sentiment de responsabilité envers la planète qui se transpose naturellement à leur pratique. Même si l’environnement n’est pas nécessairement le message principal véhiculé par leurs œuvres, celui-ci est intégré dans la conception et la démarche derrière leurs projets qui demeurent, malgré cela, poétiques et esthétiques.
Ce qui rapproche Juan, Josette et Geneviève? La collection, l’accumulation, le classement et le rapport à l’objet. Pourquoi on le choisi, pourquoi on le conserve et pourquoi on l’utilise pour en faire autre chose.
Cueillette © Félix Michaud
Geneviève Baril, des œuvres qui retournent à la nature
Geneviève Baril recherche d’abord la poésie des matériaux et comment l’accumulation et la répétition a un effet sur l’observateur.trice. L’environnement s’impose comme une réflexion en tant qu’être humain autant qu’artiste, et la porosité entre les deux apporte de la cohérence.
Il y a quelques années, elle avait créé une œuvre avec 4 000 roses blanches importées du Mexique. Aujourd’hui, elle ne le referait plus. Ce ne serait plus en cohérence avec ses valeurs. Depuis quelques années elle recherche des façons de créer des œuvres de qualité en créant le moins d’impact possible sur l’environnement.
Elle cueille alors ses matériaux à même les végétaux disponibles près de chez elle, comme des plantes ou des mauvaises herbes dans le but de « travailler avec la matière éphémère naturelle, mais sans l’altérer, pour pouvoir après la retourner dans l’environnement sans effet néfaste. » Elle prend à la nature, puis l’œuvre finale retourne au compost.
Anthologie de la marche – Partie 2 : Je serai ton miroir. / Mon jardin sera un lieu de résistance et de rébellion. Médium : Cadres en bois et plantes sauvages © Félix Michaud
« Comment faire des œuvres éphémères qui aient des traces minimales dans l’environnement dans lequel je vis, mais une trace maximale dans l’environnement artistique. »
Geneviève Baril
Pour mieux comprendre le processus créatif de Geneviève Baril :
En découdre du monde, Médium : étiquettes de vêtements, coton, épingles, couture, Megablocs © Guy L’Heureux
Josette Villeneuve, faire de l’art neuf avec du recyclé
Josette Villeneuve se fait la même réflexion que Geneviève Baril. Si elle ne cherche pas forcément à mettre de l’avant un message de conscience environnementale, on retrouve celui-ci dans ses gestes au quotidien et, naturellement, dans sa démarche d’artiste. « J’essaie que ma vie personnelle et ma vie artistique soit en symbiose. »
Elle recherche et recueille des matériaux qui existent déjà. Elle valorise la réutilisation de matériaux comme des boîtes en carton, des étiquettes de vêtements, des draps recyclés ou des blocs lego. « Je ne vais pas dans les magasins pour acheter des matériaux, j’en prends qui existent déjà. Sinon, je trouve ça horrible. Moi, quand je vais dans les magasins, je vois des déchets futurs. »
Lorsqu’elle a créé sa mappemonde il y a quelques années, elle a accumulé un très grand nombre d’étiquettes de vêtements à jeter et c’est la répétition de ce même objet qui donne tout son sens à l’œuvre. « Face à ça, vingt pieds d’étiquettes de vêtements c’est une conscience de la surconsommation des gens. »
Josette Villeneuve comprend l’intérêt de Juan Ortiz-Apuy pour la publicité, celle-ci pouvant facilement être comparée à l’art. Les deux sont influencés par l’actualité et cherchent à séduire l’œil qui regarde. Mais l’art, au contraire de la publicité, n’invite pas le public à acheter ou à posséder, mais plutôt à réfléchir.