4 octobre 2022

Le Coconut Bar : Dernier vestige du style Tiki en Mauricie

Par Emmanuelle Brousseau

Avec son toit à pignons et ses murs recouverts de bambou, l’Hôtel-Motel Coconut est loin de passer inaperçu au bord de la 138. Depuis maintenant 60 ans, celui que l’on appelle aussi tout simplement le Coconut Bar, ne cesse d’attirer les jeunes et les plus nostalgiques. Sur son célèbre pont de bois entouré de palmiers se sont succédés des milliers de couples en voyage de noces, de touristes du «kitsch», d’amateur·trices de cocktails et de gens curieux en quête d’un endroit inusité où prendre un verre.

Portrait d’un des derniers bijoux de la vague pop-polynésienne au Québec.

«Moi, quand je venais dans les années 80, je prenais un Zombie. Il est encore là [sur la carte des cocktails]». C’est sur un fond de musique pop, accompagné du son de la fontaine du bassin d’eau, que j’écoute Valérie Boisvert me parler de l’histoire de son institution légendaire. Depuis 2005, elle et son mari Sylvain Carle sont propriétaires de l’Hôtel-Motel Coconut, un endroit qui a toujours été bien présent dans leur vie: «Quand on a commencé à sortir ensemble, c’est ici qu’on a décidé d’officialiser notre relation». C’est d’ailleurs sous l’éclairage tamisé et coloré du bar que le couple a célébré non seulement leurs après-bals, mais aussi leur enterrement de vie de célibataire. Comme tant d’autres avant eux, Valérie Boisvert et Sylvain Carle ont vécu des moments importants de leur vie au Coconut Bar: «Il y en a beaucoup qui fêtaient leur voyage de noces ici». Avec une telle histoire d’amour avec le lieu, on aurait pu croire que le couple d’entrepreneurs était destiné à reprendre les rênes de l’Hôtel-Motel Coconut. C’est pourtant le hasard de la vie qui l’a mis sur leur chemin. Alors que les deux rêvaient plutôt d’ouvrir un restaurant, le bâtiment a été mis en vente par les propriétaires fondateurs. Le couple s’est alors empressé de sauter sur l’occasion. Pour l’opportunité d’affaires, mais surtout, pour l’histoire du lieu.

Intérieur de la section «bar» de l’Hôtel-Motel Coconut © Gracieuseté des propriétaires de l’Hôtel-Motel Coconut

Un oasis made in Trois-Rivières

L’Hôtel-Motel Coconut n’a pas toujours été l’endroit coloré que l’on connaît. En 1959, Gérard Landry fait l’acquisition du T.V. Motel, situé sur le bord de la 138. Trois ans plus tard, en 1962, l’homme d’affaires fait construire ce qui allait devenir le Coconut Bar, inspiré par les établissements de style pop-polynésien et son amour des cocktails. D’ailleurs, ce sont ses propres dessins qui ont servi de base aux architectes de l’époque. L’année suivante, sa femme Madeleine Landry et lui reviennent de leur voyage de noces à Tahiti avec plusieurs objets et statues pour mettre la touche finale au bar. Depuis, malgré quelques rénovations, la partie «bar» de l’Hôtel-Motel Coconut demeure assez fidèle à la vision de ses créateur·tices.

Entre les typiques fauteuils en rotin, les aquariums, les statues de divinités Tiki, la pirogue suspendue, les colliers de fleurs et le pont traversant un bassin d’eau, le Coconut Bar ne lésine pas sur l’ambiance: «C’est sûr que peu importe où tu t’assois, tu vas avoir une façon différente de voir le bar». Dans leur livre Kitsch QC. Restaurants, bars-salons et autres lieux dépaysants : histoire d’un patrimoine méconnu, les autrices (et spécialistes du patrimoine kitsch) Roxanne Arsenault et Caroline Dubuc ont consacré un chapitre entier au style pop-polynésien (aussi appelé «Tiki»). Bien que le style ait fait son apparition aux États-Unis, quelques décennies plus tôt, c’est entre 1950 et 1980 qu’il s’est étendu jusqu’au Québec. Véritable construction occidentale, ce style mélange des éléments issus de différentes cultures océaniennes, asiatiques et des Caraïbes, à des décorations rappelant la mer et les îles tropicales. Ancré dans une période d’ouverture vers le monde, les restaurants, bars et commerces au look pop-polynésien répondaient au besoin d’évasion et de divertissement des nord-américain.es, jusqu’alors pris dans une époque plus conservatrice. L’idée était de se sentir «en voyage», tout en restant dans son patelin.

Drinks © Gracieuseté des propriétaires de l’Hôtel-Motel Coconut

Les Ananas de la Colère © Cathon

Le Coconut Bar dans l'imaginaire populaire

Avec les années, le style pop-polynésien a fini par perdre en popularité, entraînant dans son déclin la fermeture de plusieurs établissements. L’Hôtel-Motel Coconut figure donc parmi les derniers représentants authentiques de cette vague stylistique en Amérique du Nord, si bien que l’auteur James Teitelbaum l’a inclus dans son livre Tiki Road Trip : A Guide to Tiki Culture in North-America. Parmi la grande clientèle de touristes qui s’y arrêtent le temps d’une nuit, on peut compter plusieurs amateur·trices de culture Tiki venu en pèlerinage dans la célèbre institution.

Certain.es artistes l’ont aussi choisi comme inspiration ou pour accueillir leurs œuvres. C’est le cas de l’illustratrice et bédéiste Cathon, qui a illustré le «Coconut Motel» dans sa bande-dessinée Les Ananas de la Colère. Dans cette œuvre campée à Trois-Rivières, l’artiste nous amène au cœur d’une intrigue policière, dans un univers inspiré par les codes de la culture Tiki. En musique, c’est le groupe Qualité Motel qui l’a choisi comme décor pour Une soirée de Qualité au Coconut, un spectacle diffusé sur Télé-Québec et réunissant plusieurs artistes tels que Claudia Bouvette, Fanny Bloom, Corneille et Michèle Richard. Dernièrement, l’humoriste Dominic Paquet est venu y tourner un spectacle dans le cadre de la série Pour un soir seulement, qui sera diffusée prochainement sur la plateforme Prime Video.

«La seule restriction c’est que nous restons ouverts à la clientèle quand même». Même si elle donne son «100 %» pour chaque événement et productions de passage à l’Hôtel-Motel Coconut, Valérie Boisvert s’assure toujours de garder une place de choix pour sa clientèle régulière.

Intérieur de la section «bar» de l’Hôtel-Motel Coconut © Gracieuseté des propriétaires de l’Hôtel-Motel Coconut

60 ans de souvenirs et de nouveaux et nouvelles adeptes

Lorsque Valérie Boisvert et Sylvain Carle ont acheté l’Hôtel-Motel Coconut, le couple a tenté de le rajeunir un peu. Du côté des chambres, les éléments de style pop-polynésien ont été remisés pour favoriser un décor plus moderne. La seule exception est la suite «Tahiti», qui a gardé une touche tropicale, malgré les rénovations. Dans la section «bar», les choix musicaux ont évolué. Exit le «lap steel hawaïen» et les bruits de vagues, le couple a plutôt opté pour une sélection musicale au goût du jour, invitant même de temps en temps des DJs. L’idée était de miser sur une ambiance festive et de communauté. Depuis, l’Hôtel-Motel Coconut est l’un de ces endroits en Mauricie où la clientèle est la plus diversifiée: «On a vraiment de tous les âges». Des banquettes jusqu’au comptoir, se côtoient autant des habitué.es de longue date, que des jeunes dans la mi-vingtaine. D’ici comme d’ailleurs.

Après avoir dû fermer ses portes trois fois dû à la pandémie, le Coconut Bar est fin prêt à fêter! Ça tombe bien : la haute saison vient tout juste de commencer: «Notre gros temps ici, c’est de septembre à avril». À l’opposé du centre-ville, c’est quand la température se refroidit que l’Hôtel-Motel Coconut connaît son plus grand taux d’achalandage.

Après tout, l’ambiance tropicale du lieu permet aux gens d’oublier la grisaille et les journées qui raccourcissent. Histoire de prolonger un peu l’été. De s’imaginer sur une plage et sous les palmiers, le temps d’une soirée.

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