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27 mars 2022
Quatrième texte par Ghislain Taschereau, écrivain en résidence du Salon du livre de Trois-Rivières
En cette ère du numérique, des médias sociaux avec ses Facebook, Tweeter, Instagram, Spotify, SnapChat, Tinder, Tik- Tok, Youtube, YouPorn, Ukulélé, en cette période d’insouciante jeunesse où le français fait de l’acné avec ses wifi, streaming, like, torrent, follower, bluetooth, download, share, forward, hosting, casting, gamer, malware, spyware, shareware, tabwère ! Dans cette forêt d’Amazon où l’on Google Apple dans son Safari, où l’on Chrome ses Stories sur Facebook, où l’on préfère parler des fucking caves qui post en capslock au lieu des hosties de caves qui publient en majuscules, bref en cette époque où le ciné-cadeau de Télé-Québec voit son Astérix bouffé par Netflix, le Salon du Livre de Trois-Rivières devient un événement culturel essentiel. Or, pour le néophyte qui ne connaît monsieur le livre ni d’Ève ni d’Adam et encore moins de Gutenberg, la question qui m’apparaît de la plus haute importance est : qu’est-ce qu’un livre ?
D’abord, il ne faut pas confondre un livre et une livre même si on aime sentir leur poids entre nos mains. Pour de la consistance, en passant, ça prend un livre d’au moins d’une livre. À Londres, tu rajoutes cinq livres. Sterling, parce qu’un livre d’une livre à une livre, c’est rare ou c’est vraiment petit.
Toujours en passant, si vous commandez un certain nombre de livres en ligne, il y a des librairies qui expédient gratuitement vos achats à votre domicile. Ce qui fait que si vous achetez l’équivalent de huit livres, on vous livre huit livres de livres. Et si le livreur s’appelle Yves et qu’il est paqueté, eh bien : Yves livre huit livres de livres ivre.
Mais revenons au sens même du mot livre ou « ervil » si on a mis ses lunettes à l’envers : qu’est-ce que le livre ? Eh bien, je vous le donne en mille, mais en dix mots seulement : Le livre, c’est le berceau de tous les possibles.
En effet, dans la vraie vie, on vous dit : Mélina et Michel ne peuvent pas jouer au billard en sautant en parachute, voyons ! Eh bien, dans les livres, ils le peuvent. On peut même aller plus loin : Mélina et Michel se sont connus alors qu’ils s’affrontaient au billard en chute libre. Leur histoire d’amour a duré trente-sept secondes.
Le livre, c’est aussi des prouesses de langage comme dans La disparition de Georges Perec ; un livre dans lequel l’auteur n’a jamais utilisé une seule fois la lettre « e ». Pas de « e », la lettre la plus utilisée en français ! Imaginez ! Bon, c’est totalement incompréhensible, mais quelle prouesse, quand même ! Moi, j’ai fait le contraire, je suis en train d’écrire un livre dans lequel il n’y aura que la lettre « e ». C’est l’histoire d’un gars qui hésite entre
l’incertitude et le doute. J’ai presque fini. Le plus difficile, c’est de choisir où mettre les virgules, les points, bref les fioritures.
J’en ai un autre en chantier, celui-là, juste avec le « h ». Le problème, c’est que dès que j’ai fini de remplir une page de « h », je la fume. Alors, ça avance pas très vite.
J’en écris un troisième aussi en utilisant que des « c » et des « d » et tout le monde finit par décéder. Mais je vous dis pas comment !
Je sais que vous avez tous une autre lettre en tête présentement, mais malheureusement je ne suis pas assez vulgaire pour deviner de quelle lettre il s’agit.
Plus sérieusement, le livre, c’est du jus de cerveau en concentré. C’est une histoire passée à la passoire pour en retirer les inutilités, une histoire sablée avec doigté pour en éliminer les aspérités. C’est une sélection de mots sensés choisis avec soin et juste assez lubrifiés pour se succéder avec la fluidité de l’eau sur le dos de tout sauf le dos d’un canard.
Le livre est un des plus beaux moyens d’évasion. Ce qui peut s’avérer fort utile quand on risque quatorze ans de prison. Parlez-en à Yvan Godbout.