10 octobre 2024

Art et cuisine : quand l’assiette devient canevas

Par Marjolaine Arcand

On suit habituellement son tracé sur une toile ou son défilement sur une pellicule. On le devine à travers les vers, au creux des accords, ou au détour d’un chassé-croisé. Mais l’art peut-il être saisi, poché, tranché ou laqué?

On a fait tout un plat de cette question. Au menu : trois chef·fes de la région partagent le fruit de leurs réflexions, décliné en cinq services.

Laurent Laganière, chef exécutif de la microbrasserie Le Temps d’une pinte. © Gracieuseté

La recette du succès

La cuisine, c’est d’abord une pincée de science, une tasse de connaissances, un litre de compétences, et un zeste de créativité. Comme dans chaque discipline, il y a des codes (et surtout des gestes!) à maîtriser. Pour le chef exécutif de la microbrasserie Le Temps d’une pinte, Laurent Laganière, ne devient pas cuisinier·ère qui veut. « C’est comme l’aquarelle ; ce n’est pas donné à tout le monde, lance-t-il un sourire en coin. Il y a des aspects techniques et visuels à considérer. »

Samy Benabed, chef et copropriétaire de l’Auberge St-Mathieu. © Ariane Samson

Art à l’ardoise

Le chef et copropriétaire de l’Auberge St-Mathieu, Samy Benabed, parle de son métier avec beaucoup de poésie. Pour celui qui multiplie les reconnaissances, la cuisine est un vecteur d’expression, un moyen de s’exprimer de façon artistique. « Nos éléments, c’est des ingrédients. C’est du comestible, c’est de l’éphémère, mais on peut créer, à travers l’assiette, autant d’émotions et d’appréciation qu’une pièce musicale ou une toile. »

Selon lui, au-delà de l’aspect artistique, c’est l’une des seules formes d’expression qui suscite pratiquement tous les sens. « Autant le goût, la vue, l’odorat, le toucher avec les textures en bouche, et même l’ouïe avec le craquant d’un craquelin, par exemple ».

Préparée spécialement par Samy Benabed et son équipe pour une conférence sur l’entomophagie (ou la consommation d’insectes par l’être humain) une tartelette à la farine de grillon, un tartare de cerf assaisonné avec un miso de ténébrion et en guise de décoration, des ailes de papillon comestibles). © Samy Benabed pour l’Auberge St-Mathieu

« Nos éléments, c’est des ingrédients. C’est du comestible, c’est de l’éphémère, mais on peut créer, à travers l’assiette, autant d’émotions et d’appréciation qu’une pièce musicale ou une toile. »

Samy Benabed, chef et copropriétaire de l’Auberge St-Mathieu

Maxim Guillemette, cheffe de cuisine à l’Auberge St-Mathieu. © Samy Benabed

Création et cuisson

Certains plats prennent du temps à concevoir, d’autres sont plus instinctifs. Le moindre fish & chip peut nécessiter tout un processus de réflexion. « On s’inspire de ce qui se fait au Québec et ailleurs, on sélectionne la variété de poisson qu’on a envie de travailler, on fait des tests de panures, de cuisson… Il y a beaucoup d’essais et d’erreurs, et ça peut prendre plusieurs jours », indique Laurent Laganière. Parfois, ça relève carrément du défi. « On a une idée du résultat souhaité, mais on ne sait pas toujours comment s’y rendre », raconte Maxim Guillemette, cheffe de cuisine à l’Auberge St-Mathieu. Elle se souvient particulièrement d’un plat que l’on souhaitait faire ressembler à un petit emoji de fantôme. « On a travaillé sur une tuile de lait jusqu’à atteindre la texture parfaite, puis on l’a fait évoluer dans le temps. »

L’art de la table ne se résume pas qu’aux fourneaux, surtout lorsque l’on propose une cuisine gastronomique. On doit considérer l’harmonie visuelle du plat — parce qu’on mange d’abord avec les yeux —, la chorégraphie du service, et s’attarder au choix des couverts. « Par exemple, le choix entre une cuillère en métal ou en bois va changer la texture et ce que les gens vivent en bouche », explique la cheffe.

« Derrière la recette de sauce à spaghetti d’un restaurant de village, il y a, au départ, des idées, des méthodes, des compétences et une réflexion. »

Laurent Laganière, chef exécutif de la microbrasserie Le Temps d’une pinte

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Vol au vent déconstruit, croissant au beurre déshydraté et espuma de sauce suprême. © Samy Benabed pour l’Auberge St-Mathieu

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Cuisse de canard confite avec des légumes de saison. © Laurent Laganière pour Le Temps d’une pinte

Créativité et steak haché

Mais qu’en est-il de la patate frite de casse-croûte ou du pâté chinois familial? Est-ce que la cuisine de rue, la restauration rapide ou les plats traditionnels peuvent s’élever au niveau de l’art comme la gastronomie? Pour Laurent Laganière, dont la carrière l’a mené dans différents types d’établissements, ça ne fait aucun doute. « Derrière la recette de sauce à spaghetti d’un restaurant de village, il y a, au départ, des idées, des méthodes, des compétences et une réflexion. »

Même son de cloche pour Maxim Guillemette, pour qui tout est dans l’intention. « À la base, ces mets ont été pensés et exécutés d’une certaine manière, pour atteindre un goût, une saveur. C’est créatif ». Elle fait d’ailleurs un parallèle entre cuisine traditionnelle et artisanat. « Ça se transmet de génération en génération ».

Tartare de cerf, betteraves et groseilles lactofermentées. © Samy Benabed pour l’Auberge St-Mathieu

Critiques pour emporter

Pour Samy Benabed, une recette, c’est pratiquement comme une partition musicale. « Tu la suis, ça demeure ta ligne directrice, mais tu peux la modifier et jazzer autour ». « Tu peux la décomposer et jouer avec autant de fois que tu veux, et ça va toujours être bon », ajoute sa collègue.

Toujours? Dans toute partition, il y a des accords harmonieux qui plaisent presque à tout coup (on pense au duo tomate-basilic). Mais comme les autres formes d’art, la cuisine se déguste en toute subjectivité.

« Il faut assumer ce qu’on propose sur la carte, assumer le geste, le coup de pinceau qu’on a fait, parce qu’il y a une intention derrière », souligne Samy Benabed. C’est tout de même le palais du client qui a le dernier mot. « Ça dépend de ses goûts, de ses perspectives. C’est comme un tableau de Muriel Millard : ça ne peut pas plaire à tout le monde », conclut Laurent Laganière, dans un clin d’œil humoristique.

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Clown, huile sur toile, 25,40 x 20,32 cm, 1982. © Muriel Millard

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Pierrots, huile sur toile, 76,20 x 60.96 cm, 1990. © Muriel Millard

Pour déguster (ou admirer) la cuisine de Samy Benabed et Maxim Guillemette, consultez le site web ou les médias sociaux de l’Auberge St-Mathieu.

  • Le dimanche 13 octobre 2024, on propose un événement spécial avec le chef John Winter Russell du restaurant Candide.
  • Le 14 octobre 2024bà 11 h, dans le cadre de l’événement Les Délices d’automne, Samy Benabed et John Winter Russell présentent l’atelier L’art de la conserve gastronomique.

Pour goûter la cuisine Laurent Laganière (avec les yeux et les papilles), consultez le site web ou les médias sociaux de la microbrasserie Le Temps d’une pinte.

Du 4 au 14 octobre 2024, les deux établissements (et plusieurs autres) proposent un menu spécial dans le cadre de MYCO — Rendez-vous de la gastronomie forestière.

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