12 mars 2024

Pour l’amour de la musique : les disquaires indépendants de la Mauricie

Par Emmanuelle Brousseau

Il y a dix ans, j’ai accompli un de mes rêves d’adolescente : travailler dans un disquaire. Même si cette grande chaîne de magasins a fermé ses portes depuis, je garde encore de bons souvenirs de ces quelques mois où je passais mes journées à conseiller des albums, à classer les nouveautés et « accessoirement » à flamber une partie de mes payes en CD et vinyles.

Travailler pour un disquaire, c’est avoir la chance de parfaire sa culture musicale au rythme des sorties d’albums, des demandes faites par les client·es et en discutant avec ses collègues de travail. Depuis l’achat de mon premier CD (1-2 Step de Ciara pour les curieuses et les curieux), l’industrie du disque n’a cessé d’évoluer. J’ai assisté à l’arrivée des lecteurs MP3, au déclin du CD, puis au retour des vinyles et maintenant celui des cassettes (oui oui), tout en voyant les plateformes comme Spotify changer la manière dont on écoute (et découvre) la musique. À une époque où l’on consomme de plus en plus notre musique en ligne, qu’arrive-t-il des bons vieux disquaires indépendants, toujours prêts à partager leurs coups de cœur du moment? Est-ce qu’ils tiennent encore le coup?  Pour y voir plus clair, je vous emmène avec moi au Metalpunk et au Puce Rock, deux disquaires indépendants de la région (et où mon cachet de rédactrice risque de financer quelques ajouts à ma petite collection de vinyles).

Le Metalpunk : le spécialiste

Situé au rez-de-chaussée de la coopérative Cent-Arts (La Mine), le Metalpunk a le charme de ces petits disquaires undergrounds qui attirent les mélomanes et les curieux·ses qui s’aventurent dans le coin. Avec sa sélection axée sur le métal et le punk (évidemment), c’est l’endroit par excellence pour les amateur·trices du genre. « Les Ramones, c’est mon band ! », me dit Pierre Leboeuf, propriétaire et seul employé de la boutique. On s’en doute bien; au plafond, tout près du comptoir-caisse, se trouve une immense affiche du légendaire groupe punk new-yorkais. Une affiche qui l’a suivi depuis le premier local où il a établi sa boutique, il y a maintenant 15 ans. Pierre Leboeuf a toujours rêvé d’avoir son propre magasin de disques. Il a d’abord commencé par un site web, alors qu’il occupait un emploi à temps plein dans une usine de la région. C’est lorsque celle-ci a fermé ses portes qu’il a décidé de se lancer et d’ouvrir son premier local : « Ça a débloqué quand j’ai eu pignon sur rue ».

Ce sont surtout des mélomanes et des fans de métal qui viennent éplucher la sélection musicale de Pierre. Parfois, des étudiant·es du Séminaire Saint-Joseph débarquent après leurs cours pour y acheter des cassettes (oui oui). Au Metalpunk, il vend de tout : CDs vinyles, cassettes, t-shirt… Cela dit, ses plus grands vendeurs restent les vinyles, même si leur prix a augmenté avec l’inflation (et l’engouement pour ceux-ci). D’ailleurs, il a remarqué dernièrement que certain·es de ses client·es « fans finis de vinyles » se tournent parfois vers les CDs, lorsqu’iels voient le prix actuel des 33 tours: « du CD usagé j’en vends beaucoup, beaucoup, beaucoup…»

Pour maintenir la boutique à flot, Pierre Leboeuf prévoit ouvrir à nouveau un site web de vente en ligne, parce qu’il a remarqué que « les gens se déplacent moins » depuis la pandémie. Si vous êtes de celleux qui préfèrent fouiner dans les bacs et piquer une jasette au propriétaire plutôt que de commander en ligne, ne vous inquiétez pas ; il compte bien garder sa boutique sur la rue Laviolette.

Découvrir le Metalpunk

« Il y a beaucoup de monde qui aiment encore le physique […]  Comme moi, j’écouterais pas ça sur Spotify. J’aime ça l’avoir chez nous le CD, le vinyle, la cassette… »

Pierre Leboeuf, propriétaire du Metalpunk

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Si le Metalpunk se spécialise dans le métal et le punk, on y retrouve également un impressionnante collection de CDs, de vinyles et de cassettes en tout genre. © Emmanuelle Brousseau

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D’abord connue pour ses vêtements punk, ses accessoires pour fumeurs et ses services de perçage, la succursale des Forges de La Puce Rock est désormais presque consacrée uniquement aux vinyles. © Emmanuelle Brousseau

La Puce Rock : une histoire de famille

« J’ai longtemps eu Tracy Chapman [album homonyme de l’artiste sorti en 1988], parce qu’il est rare et que c’est nostalgique des moments où j’allais à Montréal avec ma mère pour récupérer des commandes… » Karine Giasson a choisi de s’impliquer dans l’entreprise familiale, au courant de la vingtaine. Fondée en 1986 par sa mère (Manon Giasson) et son grand-père, La Puce Rock est une boutique importante pour la scène alternative en Mauricie. D’abord connue pour ses vêtements punk, ses accessoires pour fumeurs et ses services de perçage, l’une des deux boutiques est désormais presque consacrée uniquement aux vinyles. C’est Karine qui a initié ce virage il y a quelques années, elle-même collectionneuse de 33 tours: « j’ai mis ce que j’aimais dans ce que ma mère a construit ». À l’époque, elle était cliente du (feu) disquaire indépendant Le Colimaçon. Lorsque le propriétaire de la boutique a annoncé sa fermeture, Karine n’a pas hésité une seconde à le contacter: « J’ai racheté son inventaire. Il m’a aidé à partir de ça. Comment commander… Il m’a fait des suggestions. »

De fil en aiguille, le volet « disquaire » de La Puce Rock a pris de l’ampleur et d’une nouvelle clientèle s’est mise à fréquenter la boutique. Étonnement, la pandémie n’a pas frappé trop fort sur l’entreprise: « les gens avaient plus de temps pour écouter des albums… » Pour la survie de son commerce, elle a déménagé l’inventaire de la boutique chez elle et a passé ses journées à traiter les commandes faites via le site internet de La Puce Rock. Son succès, elle le doit à son travail acharné et sans relâche : « J’ai travaillé vraiment fort quand on était fermé. Je me suis couchée tard… Je ne sais pas si c’est le fruit du travail que j’ai fait aussi, mais je n’ai pas arrêté une seconde. »

Aujourd’hui, les affaires se portent bien à la Puce Rock, malgré une petite baisse des ventes. Tout comme au Metalpunk, l’inflation et les coûts plus élevés des vinyles y jouent pour quelque chose. Malgré tout, l’entreprise garde sa tête haute et pleine de projets. D’ailleurs, l’équipe a commencé à mettre en ligne les capsules Vide ton sac, il y a environ un an. À la manière de la série vidéo What’s in my bag (concept de la mythique chaîne de magasins  Amoeba Music en Californie), elle invite des artistes à nous partager leurs inspirations et coup de cœur musicaux, à partir de vinyles trouvés en boutique. Parmi les artistes qui se sont prêtés au jeu, on y trouve : Fred Fortin, Bon Enfant, Lisa Leblanc et même Les Vulgaires Machins.

« Ça donne aussi un attachement à la place […] Quand un client vient magasiner et qu’il y a le tournage d’une capsule, c’est sûr que c’est l’fun. »

Découvrir La Puce Rock

« Déboucher l’album, l’odeur, la texture… C’est une activité ! »

Karine Giasson, propriétaire de La Puce Rock

Au Metalpunk comme à La Puce Rock, on offre une vaste sélection de vinyles usagés. © Emmanuelle Brousseau

« Une sélection qui vient du cœur »

Karine Giasson et Pierre Leboeuf s’entendent sur une chose : les disquaires indépendants offrent un service personnalisé incomparable à ce qu’on peut trouver ailleurs (voir incomparable aux algorithmes d’une plateforme d’écoute en continue). À force de bâtir leur sélection d’albums en boutique, de faire des commandes et de rester à l’affût des nouveautés dans leurs créneaux respectifs, iels ont développé chacun·e une expertise qui peut bénéficier à tous les mélomanes qui arrivent dans leurs magasins.

Et pour l’avoir expérimenté les fois où je suis allée chez un disquaire indépendant, il y a quelque chose d’absolument grisant dans le rituel de fouiller dans les racks pour trouver un album tant recherché ou même se laisser tenter par une découverte. Et ce n’est pas que : « Déboucher l’album, l’odeur, la texture… C’est une activité ! », rappelle Karine Giasson. Effectivement, le disque peut être objet d’art par sa musique, le design de sa pochette (voir la couleur du disque) et même objet de collection lorsqu’on a affaire à une édition limitée ou un pressage original. Partir à la quête de nouveaux disques est une activité de choix pour plusieurs, comme Karine Giasson et Pierre Leboeuf, qui ne sont pas près d’arrêter: « Il y a beaucoup de monde qui aiment encore le physique […]  Comme moi, j’écouterais pas ça sur Spotify. J’aime ça l’avoir chez nous le CD, le vinyle, la cassette… »

Alors, êtes-vous plus du type vinyles, CDs ou cassettes?

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