25 mai 2023

Vivre de son art : Utopie ou réalité?

Par Marjolaine Arcand

Vivre (ou non) de son art. Là est la question qui se cache derrière tant de notes jouées sur un piano, de coups de pinceau sur une toile ou de frappes de gouges dans le bois. L’ambition ultime, pour un·e artiste, est-elle de se consacrer entièrement à sa passion? Quelques élu·es y parviennent, mais on ne compte plus celles et ceux qui vivotent en attendant leur big break. D’autres font tout simplement le choix de vivre plus confortablement avec un revenu d’appoint.

Trois artistes de la région nous partagent leur parcours et leurs réflexions suscitées par cette grande question existentielle (et, tout de même, un peu financière).

La passion comme deuxième carrière

Pour le conteur Guy Duchesne, il aura fallu attendre la retraite… pour faire carrière dans son art. Celui qui avait toujours rêvé de voyager grâce à sa plume a d’abord travaillé dans un tout autre domaine avant d’explorer l’art du conte lors d’un atelier de médiation culturelle offert par Culture Shawinigan. « Y’a de la graine de conteur en toi », s’est-il fait dire.

Après le spectacle de contes à la clé de cet atelier, il a sauté à pieds joints dans cette aventure. « Deux jours après mon coming-out de conteur, j’ai reçu mon premier contrat. J’ai accepté le défi », raconte-t-il. Il a fini par écrire un spectacle de 60 minutes avec lequel il est parti sur la route… jusqu’en Europe!

« Il y a un moment où j’ai arrêté d’accepter des mandats qui ne sont pas liés à la scène. Je me consacre au conte. Et c’est une liberté incroyable! »

Guy Duchesne, conteur

Guy Duchesne, conteur © Christine Berthiaume

Artiste, mais pas que…

Aujourd’hui, Guy Duchesne vit de son art. Son secret? Accepter de se diversifier. Le conte, oui, mais aussi les tournées dans les écoles, les événements corporatifs, les contrats de comédien. Il y a assurément un moment de fracture où il n’est plus possible de conjuguer sa passion avec un autre boulot. « Il y a un moment où j’ai arrêté d’accepter des mandats qui ne sont pas liés à la scène. Je me consacre au conte. Et c’est une liberté incroyable! » L’homme garde toujours en tête un conseil reçu de l’acteur Luc Senay, selon qui il y a trois questions à se poser lorsqu’on reçoit un contrat : 1) Est-ce que ça m’apporte du plaisir? 2) Est-ce que c’est payant? 3) Est-ce que c’est bon pour ma carrière? « Si on répond « oui » à deux d’entre elles, il faut foncer! »

Catherine Laurin, violoniste et chanteuse © Alexis Boivin

La violoniste et chanteuse Catherine Laurin, qui vit exclusivement de la musique, a une vision encore plus puriste de la chose. Alors qu’elle évolue dans quatre formations (Cosmophone, Pourpre, Caprices et Glohm), elle cumule de petits mandats en création, et enseigne deux cours de musique, ce qu’elle avoue considérer comme étant « une side job ». Pas qu’elle n’aime pas ça. Mais la jeune femme préfèrerait pouvoir se concentrer exclusivement sur sa musique. « Je ne sais pas si je pourrais laisser tomber ces contrats sans avoir de la difficulté à arriver. Il n’y a pas beaucoup d’offres dans ce que je sais faire », souligne celle qui se considère tout de même choyée d’évoluer dans plusieurs groupes. « La musique, c’est bien souvent à perte », lance-t-elle non sans une pointe d’amertume. D’ailleurs, nombreuses sont ses connaissances du milieu qui doivent délaisser leur passion le temps d’un quart de travail dans un café pour y arriver.

Retourner sur les bancs d’école

Pour l’artiste peintre Patricia Kramer, peindre à temps partiel n’était pas envisageable. « J’ai donc mis les bouchées doubles pour y arriver. Si je voulais que ça se vende, je devais m’améliorer, devenir excellente. Et ça demandait de m’y consacrer totalement. »

La recette a fonctionné de nombreuses années pour elle, malgré les revenus instables variant d’année en année. « C’est vertigineux. Je m’étais fixé une limite minimale dans mon compte de banque. Si je la franchissais, c’était le signe qu’il fallait trouver un autre emploi », explique celle qui a toujours pu (sur)vivre de vernissage en vernissage jusqu’à la pandémie.

« Je sentais que j’étais allée au bout de ce que je pouvais faire pour vivre de la peinture. Je me suis donc trouvé un plan B. » La peintre a troqué ses pinceaux pour des crayons, le temps de retourner sur les bancs d’école pour devenir courtière immobilière. Évidemment, manque de temps oblige, son chevalet amasse la poussière depuis. « Ça commence déjà à me travailler. J’ai envie de faire un gros vernissage l’été prochain », souffle-t-ell

« Être travailleuse autonome ce n’est pas être libre. Tu travailles deux fois plus fort, et il faut s’investir entièrement, même après 17h et les fins de semaine. »

Patricia Kramer, artiste peintre

Patricia Kramer, artiste peintre © Michel Feugeas

Artiste, et toutes autres tâches connexes

Outre la précarité financière, ce qui peut peser dans la balance lorsque vient le temps de vivre de son art est l’intensité des fameuses « autres tâches connexes ».

Pour Patricia Kramer, la peinture ne représentait qu’une journée par semaine, le reste de son temps étant occupé par les tâches de gestion et de communications. « Être travailleuse autonome ce n’est pas être libre. Tu travailles deux fois plus fort, et il faut s’investir entièrement, même après 17h et les fins de semaine », indique-t-elle.

Catherine Laurin abonde en ce sens. « Être artiste, c’est comme avoir une compagnie. Faire de la musique, c’est pas juste faire de la musique. C’est aussi la comptabilité, les communications, la gestion des réseaux sociaux, les relations publiques, le tracking radio, les relations de presse… » Pas pour rien qu’on utilise parfois le terme artrepreneur. « Ça vient avec un mode de vie et il faut y être préparé. Il faut essayer de connaître tous les recoins de l’industrie dans laquelle on évolue », recommande-t-elle.

« Être artiste, c’est comme avoir une compagnie. Faire de la musique, c’est pas juste faire de la musique. C’est aussi la comptabilité, les communications, la gestion des réseaux sociaux, les relations publiques, le tracking radio, les relations de presse… »

Catherine Laurin, violoniste et chanteuse

Vivre avec les refus

Le milieu artistique vient aussi avec son lot de refus à des appels de dossier, des subventions, des auditions… Et ça peut finir par saper le moral.

Guy Duchesne essaie de garder en tête qu’un « non » a toujours une raison d’être. « Il ne faut jamais le prendre personnellement, mais l’utiliser comme tremplin pour aller plus loin. » Pour sa part, Catherine Laurin indique ne pas mettre d’énergie dans les choses sur lesquelles elle n’a pas de contrôle. « J’essaie de me concentrer sur ma musique, sur ce que je sais faire de mieux. »

Trucs de pros pour vivre de son art

Faire de sa passion artistique une carrière lucrative demande donc une grande dose de temps, d’efforts, d’humilité, et parfois même, de chance.

Les artistes interrogé·es pour cet article y sont aussi allé·es de quelques trucs en vrac destinés à quiconque souhaitant y arriver.

  • Développer ses marchés en lançant des perches. Beaucoup de perches.
  • Demeurer actif·ive·s dans son milieu.
  • Se développer une niche là où les autres ne sont pas.
  • Garder en tête qu’il est nécessaire d’investir du temps (beaucoup!) dans sa passion.
  • Et surtout, continuer à y croire, avec tout ce que ça implique.

Envie de permettre à ces artistes de continuer ou réussir à vivre de leur art? Consultez leurs profils pour connaître leurs spectacles et événements à venir.

Vous avez aimé?

Partager :

Vous aimeriez aussi