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- Ces gueuleuses qui ont quelque chose à dire
Quand on m’a demandé d’écrire à propos de la place des femmes dans la scène métal, j’étais bien sûr honorée puisque j’en fais partie, mais j’ai été moi-même confrontée à un défi : tenter de faire abstraction des clichés.
Je pourrais ici évoquer les difficultés rencontrées en évoluant dans un monde majoritairement masculin (ce qui est certes une réalité), mais j’aimerais plutôt profiter de cette tribune pour mettre en lumière le talent des femmes qui osent!
Il est impossible de faire un portrait type de « la femme métal » puisqu’au même titre que tout être humain, chacune a sa couleur, ses passions et son style de prédilection, celui dans lequel elle se sent le plus à l’aise, confortable. Quand je dis confort, je ne parle pas ici de tenue vestimentaire, mais plutôt d’un cercle de personnes parmi lesquelles elle se sentira accueillie, épanouie. Des gens avec qui elle partagera des valeurs et/ou tout simplement des sonorités qui les feront vibrer. Sentir qu’on est sur la même longueur d’ondes que ses semblables, c’est réconfortant et ça permet un lieu propice à la création. C’est d’ailleurs ce qui fait que je me sens à ma place au sein de cette communauté, et ce, depuis maintenant 35 ans!
Moi itou... J'ai ma place!
Si l’on pouvait facilement compter le nombre de femmes présentes dans les shows de death metal au début des années 90, le ratio d’adeptes a considérablement augmenté depuis et frise actuellement les 50 % de l’assistance. Loin d’être propre à la scène musicale, cette réalité est représentative de la place grandissante des femmes dans la société, celles-ci étant maintenant présentes dans pas mal toutes les sphères de métiers.
Reste que, sur scène, il y a encore peu de modèles féminins, ce qui explique sans doute pourquoi elles détonnent et étonnent autant. À titre d’exemple, sur les 45 spectacles métal à venir dans la province de Québec, seulement huit d’entre eux auront des femmes au programme!
Mais la place des femmes ne se limite pas à la scène. Plusieurs d’entre elles gravitent dans cet univers dans l’ombre : photographes, chroniqueuses, rédactrices, éditrices, responsables de la vente de produits dérivés, promotrices, techniciennes, éclairagistes, agentes d’artistes (de façon formelle ou informelle), elles sont bien souvent les conseillères artistiques des mecs et aussi, leur premier public.
L’autrice de cet article, Louise Girard, a fondé et édité le fanzine Sang Frais de 1998 à 2005. Elle travaille actuellement à la rédaction du Tome 2 de L’évolution du métal québécois. Elle est également chanteuse pour la formation Hands of Death. © Vicky Fillion
Un répertoire pour celles qui gueulent
Des organisations et regroupements à tendance punk féministes tels que Riot Grrrl, Les Insoumises, ou More Women on Stage prônent justement une plus grande visibilité et une meilleure accessibilité aux femmes à cet univers pouvant paraître intimidant de l’extérieur. Des cliniques pour musiciennes, des ateliers, des formations, un stage dans un milieu bienveillant…
Au Québec, Gueuleuses remportait récemment le prix « organisme ou initiative pour la communauté de l’année » au 19e Gala Alternatif de la Musique Indépendante du Québec (GAMIQ).
Ce concept unique, un répertoire de chanteuses qui scream, growl, fry, de toutes origines, époques et genres musicaux ayant été consulté par plus de 30 000 visiteurs et visiteuses depuis son lancement en mars 2024, est une idée originale de Jolène Ruest, autrice et animatrice originaire de Trois-Rivières.
Jolène : « J’ai commencé à m’intéresser aux chanteuses qui gueulent début vingtaine, quand je prenais des cours de chant. Je me demandais pourquoi il fallait assumer chanter clair par défaut et je me cherchais des modèles. »
De fil en aiguille, Jolène devient animatrice à CISM, la radio de l’Université de Montréal. Sa première émission, Critique de Crowd (2012-2018), se transforme en Jolène Jase de Gueulages puis en Jolène Jase de Gueuleuses.
Jolène Ruest est autrice et animatrice. C’est à elle que l’on doit Gueuleuses, ce répertoire de femmes et de personnes non binaires et fluides de genre qui scream, growl et fry. © Camille Gladu-Drouin
À la découverte de femmes atypiques
C’est la curiosité de Jolène qui lui a permis de créer Gueuleuses, ce répertoire unique qui regroupe aujourd’hui près de 2 000 fiches de chanteuses (certaines chantent dans plus d’un groupe et ont donc plus d’une fiche à leur nom).
Jolène : « C’est incomptable le nombre de gars qui gueulent pis tsé, c’est quand même très niché! Tandis que le nombre de filles, on est impressionnés qu’il y en ait plus ou moins 1 000! C’est vrai que, quand on y pense, c’est tout petit mondialement et à travers l’histoire vu qu’on calcule à partir des années 80. »
Lorsque j’ai préparé ma présentation des femmes qui sont « au front » dans la scène métal au Québec, j’ai recensé 14 femmes pour la décennie 1989-1999 alors que, pour la même période, je dénombrais plus de 600 groupes métal lors de mes recherches pour le Tome 2 de L’évolution du métal québécois! Si le ratio équivalait donc à 2% à cette époque, je ne peux vous fournir la statistique en date d’aujourd’hui, mais je vous recommande vivement de consulter, au gré du temps, les 105 fiches de gueuleuses québécoises que voici.
Consulter le répertoire« J’ai commencé à m’intéresser aux chanteuses qui gueulent début vingtaine, quand je prenais des cours de chant. Je me demandais pourquoi il fallait assumer chanter clair par défaut et je me cherchais des modèles. »
Jolène Ruest, autrice, animatrice et instigatrice de Gueuleuses
Une communauté qui fait du bruit
Gueuleuses permet non seulement des découvertes intéressantes, mais il permet également de créer un sentiment d’appartenance auprès des femmes et, je l’avoue, m’a procuré une grande fierté de voir mon talent mis en valeur auprès de quelques autres pionnières et idoles personnelles.
Jolène : « Les filles sont reconnaissantes que ce projet pense à elles. Ça a un impact, ça leur fait du bien et ça me fait plaisir dans le processus de Gueuleuses. En filigrane du site, c’est aussi une communauté, une espèce de fil invisible qui peut relier les filles et les personnes fluides de genre et non binaires à travers le monde par leur art. »
La passionnée voit donc son travail récompensé par cet appui qu’elle reçoit de femmes à travers la planète. Si son site est dédié à celles qui prennent le micro pour gueuler, le spectre vocal métal propose d’autres textures différentes dans les styles de voix allant même jusqu’aux mélodies de l’opéra.
Chose certaine, qu’elles soient chanteuses ou musiciennes, lorsque les projecteurs sont braqués sur elles, elles ne passent pas inaperçues et continueront d’étonner par leur audace, leur talent et leur fougue. Toutes aussi pertinentes et inspirantes, elles tracent leur voie grâce à une détermination sans frontières.
Pour pousser plus loin
Gueuleuses de la Mauricie :
- Marilyn Ayotte, gueuleuse pour Chained by Illness
- Louise Girard, gueuleuse pour Hands of Death
Shows métal à venir à Trois-Rivières :
- 19 décembre 2024 : Dayglo Abortions + Xplicit Noïze + Black Out + Diskonnektor à la Taverne Royale
- 27 décembre 2024 : Mononc’Serge et Anonymus + Tagada Jones à l’Amphithéâtre Cogeco
- 8 février 2025 : Liva + Uriel + Chained by Illness à la Taverne Royale