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- Fières Mauriciennes: Ces femmes du passé ayant bâti l’avenir
*** Le féminin est utilisé pour alléger le texte ***
L’autre jour, je prenais une marche en ville. Les doux rayons de soleil faisaient fondre les neiges de la veille. Nos pas foulaient alors la Terrasse Turcotte à Trois-Rivières, lorsque nous sommes arrivées à l’entrée du Jardin des Ursulines. Toutes les marcheuses passantes dans le coin ont déjà vu l’imposant buste de La Vérendrye, face au fleuve sur son piédestal. Trois-Rivières était, au tout début de la colonie, une pépinière à explorateurs. D’ailleurs, la liste de noms se trouvant sur le monument nous le rappelle. Ces hommes partaient pendant des semaines voire des mois, loin de leur chaumière et de leur famille. En le regardant, mon chum s’exclame: «C’est quand même ironique que les «madames» qui devaient s’occuper de tout, n’ont même pas leur nom, ici!».
Son commentaire a mis l’accent sur une réflexion que j’ai depuis un certain temps. En marchant, je me suis re-re-demandé pourquoi y a-t-il des «madames» partout mais qu’on ne les voit quasi nulle part? Pourquoi n’ont-elles pas marqué plus que ça notre imaginaire collectif? Pourtant, d’ouest en est, du sud au nord, l’histoire de la Mauricie regorge de femmes inspirantes.
Aux portes de la Mauricie: Secteur ouest
Marcelle Ferron © Marie-Josée Hudon/L’Encyclopédie Canadienne
À quelques jets de pierre de la Rivière-du-Loup, à l’entrée du village de Louiseville, sont nées Marcelle et Madeleine Ferron. Natives d’une imposante fratrie dans le milieu de la culture et fortement impliquées dans la collectivité, les deux sœurs ont fait leur place dans le Québec du milieu du 20e siècle. Marcelle est une peintre reconnue du mouvement automatiste. Elle est d’ailleurs la première femme signataire du manifeste Refus global de 1948, document déposant les assises d’une Révolution tranquille à venir. Marcelle a contribué au fil de sa carrière à faire rayonner l’art public. On peut d’ailleurs admirer une de ses œuvres à la station Champ-de-Mars à Montréal. Étant la première femme à recevoir le prestigieux prix Paul-Émile-Borduas, elle fut une inspiration pour toute une génération d’artistes féminines, dans un domaine largement dominé par les hommes. Quant à sa sœur, Madeleine, elle s’est démarquée dans le domaine littéraire de son frère Jacques Ferron. On disait de lui qu’il était l’écrivain de la famille, mais que Madeleine était la plus lue. Patrimoine, peuple et régionalisme ont été au cœur de son œuvre. À l’aide de sa plume, elle mit en lumière l’histoire de sa région d’adoption, la Beauce, tout comme l’histoire du parcours de sa famille maternelle, les Caron. Madeleine a contribué à faire découvrir petits secrets et doux souvenirs de la Mauricie.
Notre région compte aussi parmi ses rangs une pionnière de l’Ouest canadien. Marie-Anne Gaboury est la première personne blanche à s’y installer. Née à Maskinongé en 1780, elle est la grand-mère du célèbre métis et fondateur du Manitoba, Louis Riel. Elle épousa un coureur des bois qu’elle suivit dans l’aventure de la traite des fourrures. Après un passage par la lointaine Saskatchewan, Marie-Anne et son mari se sont installés près de la rivière Rouge. Elle fut surnommée la «marraine des prairies». Cette maison en bois rond où ils établirent demeure constitue les bases de la communauté francophone de Saint-Boniface, au Manitoba, aujourd’hui.
Bustes de Marie-Anne Gaboury et Louis Riel réalisés par l’artiste Jules Lasalle © Jean-François Veilleux/La Gazette de la Mauricie
Aux abords de la Saint-Maurice: Secteur centre et secteur nord
Si on enjambe la Saint-Maurice et qu’on se rend directement au centre de la région, un nom du milieu des arts résonne telle une musique : Simone Gélinas-Murray. Née à Shawinigan en 1920, cette femme a œuvré toute sa vie dans le monde de la musique. Que ce soit au Séminaire Sainte-Marie en tant qu’enseignante ou comme fondatrice des Jeunesses musicales du Canada, section Shawinigan, Simone a toujours eu à cœur le développement de cet art. D’ailleurs, elle est la fondatrice du Centre des arts de Shawinigan. En plus d’une passion pour la musique, Simone a une âme de poétesse et de comédienne. Au cours de sa carrière, elle publie 5 recueils de poésie, tous de doux mots aux oreilles et aux yeux des passionnées.
Remontons le courant de la rivière. Direction le Nord du Nord de la Mauricie où la Nation Atikamekw y tient Conseil. Que ce soit par un passage par Manawan, Obedjiwan ou Wemotaci, les femmes ont œuvré pour la préservation, la continuation et la transmission de leur culture, celle avec un grand «C». Pensons notamment à Suzanne Pineshish Ottawa, médecin et sage-femme qui a élevé aussi pas moins de 18 enfants (!), Marie-Célina Pittikwi qui à son tour aida à accoucher presque toutes les femmes de son époque et qui a transmis connaissances et savoirs à d’autres comme notamment Marie-Célina Wasikicikw. Ces femmes, on leur doit beaucoup, mais on s’en souvient peu.
Au pays de la Batiscan: Secteur est
Sous-verres à l’effigie des cinq sœurs Leblanc réalisés par Evelyne Boutet © Aux Cinq Sœurs – Café Boutique
En terres mékinoises, cinq sœurs ont marqué l’histoire d’une localité. Dans le Sainte-Thècle de la fin du 19e siècle, le magasin général du village appartenait à David Leblanc, Hénédine Lafrance et leur famille. Au moment du décès du paternel, leurs 5 filles reprirent le commerce. Il faut dire qu’un magasin général, c’est d’une importance capitale pour un village! Celles qu’on appelait «les vieilles filles » s’occupaient de tout, tout, tout. En plus du magasin, elles avaient des carrières personnelles. Alors que Geneviève était la grande manitou du magasin, Marguerite était institutrice, Judith, infirmière, et Françoise, une sacré bonne ménagère! En plus de ces occupations, l’inventaire de la Caisse Desjardins située derrière le magasin était affaire de ces femmes.
Après avoir fait ce tour d’horizon dans ma tête, mon chum me sort de mes pensées : «Et à Trois-Rivières, il doit bien y en avoir des femmes qui ont marqué la Trifluvie! Ça ne se met pas tout seul «sur la mappe» une ville comme ça!» dit-il sourire en coin.
Évidemment! Ça s’est fait à l’aide de fondatrices telles que Marie Marguerite. D’une autrice sur les vieilles Forges comme Corine Beauchemin-Gardeau. D’une femme patriote telle qu’Adèle Berthelot Lafontaine. D’une référence dans le milieu de la danse comme Huguette Lafleur Alarie. D’une Carmen Bourassa, créatrice et productrice télévisuelle pour enfants. D’une Amy Ritchie et d’une Louisa Houliston, pionnières du hockey féminin québécois. De toutes ces Filles du Roy ayant choisi la région pour s’établir. De toutes ces femmes qu’on dit «de» et dont l’histoire a laissé aux oubliettes le prénom et le nom.
Parce que les femmes ont toujours été là. Parce qu’elles ont forgé la Mauricie dans l’ombre de leurs hommes. Parce qu’elles furent présentes dans tous les milieux. Du nord au sud, de l’est à l’ouest. Parce que notre culture mémorielle mauricienne doit se réécrire au féminin. Parce que comme le dit ce 8 mars 2022, «l’avenir est féministe». Mais pour qu’il le soit, il faut aussi mettre en lumière celles ayant écrit les premières lignes de notre histoire collective, de notre histoire mauricienne.