25 mars 2022

Poésie opaque par Ghislain Taschereau, écrivain en résidence du Salon du livre de Trois-Rivières

Par Salon du livre de Trois-Rivières

POÉSIE OPAQUE

On dit que la poésie est trop opaque. Alors, laissez-moi vous aider à la comprendre en analysant le plus beau poème jamais écrit sur cette Terre. Permettez-moi d’abord de vous lire ledit poème dans son intégralité, ce qui me fait ça de moins à écrire, étant donné que, oui, je trouve ça bien agréable d’être l’écrivain en résidence du Salon du Livre de Trois-Rivières, mais ça me laisse pas mal moins de temps pour boire et jouer à des jeux avec Patrick Senécal.

Cela étant dit, tenez vos émotions bien en laisse, car voici le poème en question :

J’aimerais être une larme pour naître dans tes yeux, vivre sur ta joue et mourir sur tes lèvres.

De prime abord, on pourrait croire que cette déclaration est synonyme d’une ambition universelle. En effet, qui ne rêve pas d’être une larme ? Mais c’est là où le conditionnel entre en jeu. Car l’obscur auteur ne dit pas : Je veux être une larme, mais bien j’aimerais être une larme. Par cet habile tour de passe-passe, ce génie du verbe nous fait une déclaration philosopho-poétique dans laquelle il avoue rechercher la tristesse intégrale.

J’aimerais être une larme, voilà la dépossession sécrétionnelle à laquelle il aspire. Cet homme se fait femme, (parce que oui, c’est un homme, je le connais, il travaille chez Brault et Martineau et c’est un excellent vendeur), cet homme, donc, se fait femme pour recueillir le malheur de celle que l’on accuse du péché originel, car il ne réclame rien de moins que de porter la tristesse de l’humanité sur ses épaules à lui. En effet, il n’aimerait pas être la glande lacrymale, il aimerait être le fruit de cette glande. Il aimerait être la tristesse. Et non seulement il aimerait être la tristesse, mais il aimerait être la première tristesse du monde. J’aimerais être une larme pour naître dans tes yeux.

C’est la genèse de la peine, la genèse de la souffrance, la genèse du péché, qu’il veut endosser. Ça peut sembler difficile à comprendre pour certains d’entre vous, mais pour paraphraser un grand poète dont j’ai oublié le nom, mais qui est toujours à la même taverne, en tout cas, pour paraphraser ce poète, je vous dirai : je me comprends. Et c’est ça qui est important.

J’aimerais être une larme, donc être le résultat direct du malheur. Or, on sait très bien qu’un être humain ne peut pas devenir une larme. Il s’agit donc de ? d’une ? D’une métaphore. Et dans ce cas-là, c’est tellement puissant qu’on peut même parler d’une métaphorte.

J’aimerais être une larme pour naître dans tes yeux, vivre sur ta joue et mourir sur tes lèvres.

J’aimerais être une larme, c’est aussi un fantasme physiologique. Ce que l’auteur se demande, c’est comment on se sent quand on est une larme ? Quand on est sécrété par une glande lacrymale ? Quand on sort par un œil. J’suis sorti, hier. Ah, oui ? Par un œil… Han ? T’es sorti par un œil ? Y a rien là, chose… Je vis maintenant sur une joue.

Eh, oui ! C’est là que ça mène.

J’aimerais être une larme pour naître dans tes yeux, vivre sur ta joue et mourir sur tes lèvres.

À partir du milieu du poème, un paradoxe s’installe. On ne parle plus de supporter toute la tristesse de l’univers, on parle de squatter le visage de quelqu’un. D’habiter le faciès de l’être aimée. Vivre sur ta joue… Mais qu’est-ce que vivre en fait ? Qu’est-ce que vivre, sinon, aimer, jouer, manger, dormir, faire l’amour… Vous imaginez quelqu’un qui fait l’amour sur votre joue ? Vivre c’est aussi grandir, se caser, s’acheter une maison. Vous accepteriez une maison sur votre joue ? Ça s’arrêtera où ? Après on se construit un chalet sur une de vos pommettes ? On vous skie sur le nez ?

On le voit bien, il y a une espèce de cruauté qui s’installe, un désir de vouloir faire mal à l’autre, ce qui est assez paradoxal compte tenu du début de ce merveilleux poème. Mais puisque l’être humain est un être de contradiction, eh bien, ça devient logique. Et c’est là tout le génie de ce texte.

Mourir sur tes lèvres. Si c’est de mort naturelle, on s’imagine mal le petit vieux étendu sur les labiales d’une femme et agoniser pendant cinq ans à tousser, cracher, siler, râler. Ça vous laisse toute une haleine de cadavre. Ça peut être bon pour draguer dans les salons mortuaires, mais c’est à peu près tout. Et vous aurez beau expliquer : « C’est pas moi, j’ai beau me brosser les dents, me gargariser avec du rince-bouche, j’y peux rien, y a quelqu’un qui est en train de mourir sur mes lèvres ! » Ça demeurera très peu crédible.

Mourir sur tes lèvres. Ce n’est pas que négatif. Qu’est-ce que c’est que la mort ? La mort, c’est la désintégration, c’est la pourriture ! Tout ce qui meurt pourrit. Et qu’est-ce que la pourriture ? De l’engrais ! Alors, si vous avez la chance d’avoir quelqu’un qui meurt sur vos lèvres, vos belles babines seront toujours enrichies à la perfection et vous n’aurez jamais besoin d’un baume.

J’aimerais être une larme pour naître dans tes yeux, vivre sur ta joue et mourir sur tes lèvres.

Alors, voilà, quelqu’un a enfin jeté une riche lumière sur cet intrigant poème. Je dispose désormais de dix ans avant d’être réinvité au SLTR à titre d’écrivain en résidence, ce qui me laissera, je l’espère, assez de temps pour vous démystifier un étonnant vers tiré d’un trop long, triste et mauvais poème, et ce vers, c’est : Ça va bien aller.

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