14 mars 2023

L’autoédition : Une quête d’indépendance, d’autonomie et d’efficacité

Par François Désaulniers

Chaque année, les libraires font face à près de 10 000 nouvelles parutions québécoises et 60 000 publications étrangères. En parallèle à ce circuit sursaturé, comment celles et ceux qui choisissent l’autoédition peuvent-ils réussir à tirer leur épingle du jeu? Pourquoi s’autoéditer en 2023? Conversation avec un auteur et deux autrices aux parcours aussi différents que complémentaires. Manon Samson, Julia Säntis et Samuel Sénéchal nous parlent de leur expérience.

Un consensus

D’emblée, Manon, Julia et Samuel notent que la charge de travail logistique, administrative et communicationnelle liée à l’autoédition s’avère colossale. Les trois font ainsi face à plusieurs défis communs qui finissent par empiéter sur leur temps de création : gestion de l’impression et/ou des stocks, vente et démarchage, travail constant de promotion et de diffusion, distribution physique souvent circonscrite aux librairies locales… et détricotage de préjugés tenaces. Samuel Sénéchal met le doigt sur une corde sensible : «L’autoédition est-elle un prix de consolation?»

Samuel Sénéchal © Alain Dionne

Samuel Sénéchal : l’indépendance

Cela fait dix ans que Samuel Sénéchal mène sa barque en autoédition avec Les productions Désordre. Prix Gérald-Godin en 2020 pour son roman Ruptures, il a publié huit ouvrages à l’esprit punk, dont le dernier, Catastrophes. Ce prof de littérature au collégial originaire de Saint-Eustache, après une maîtrise en création littéraire, a commencé son parcours artistique en tant que musicien. Si l’autoproduction est courante et reconnue dans le monde de la musique, Samuel s’est vite rendu compte que le monde littéraire ne partageait pas toujours cet enthousiasme.

Une question de perception

À ce propos, Samuel a justement créé une conférence sur l’autoédition qui traite de ses nombreuses possibilités, mais aussi de sa perception parfois négative par le public. Il y porte un regard lucide sur ce milieu hétérogène peuplé de quelques profils types : ceux qui sont teintés par les multiples refus, ceux qui craignent la collaboration avec une direction littéraire, ceux qui se payent un projet de retraite à la manière d’un hobby et ceux, comme lui, qui choisissent l’autoédition pour la liberté qu’elle offre.

En marge de l’industrie

Souhaite-t-il vraiment rester indépendant? Son refus d’un «beau contrat d’une maison d’édition» semble confirmer qu’il a trouvé un modèle répondant à ses besoins d’auteur. Vendre moins, mais par lui-même. Avec l’aide de sa blonde au graphisme et à la révision ainsi que de sa sœur à la correction, il est devenu son propre éditeur. Même s’il s’agit plus d’une passion que d’un métier, il y investit temps et argent, avec rigueur, sérieux et, surtout, une grande dose de fierté et de plaisir.

Découvrir Samuel

Samuel Sénéchal pour le magazine L’Artis

Julia Santïs © Gracieuseté de l’artiste

Julia Säntis : l’autonomie et le contrôle

Julia Säntis a fait paraître les deux premiers tomes de son «space opera politique», Le Relakh, en 2017 et en 2018. Elle travaille présentement au troisième volet de cette série, entre autres projets d’écriture. Forte de son passé dans le domaine de la finance, la Shawiniganaise qui a habité en Suisse et en Sibérie, a décidé de faire affaire avec Librinova, une «maison d’auto-édition et agence littéraire» française. Ainsi, elle peut orchestrer elle-même la vision qu’elle a de son œuvre en y choisissant différents services à la carte en complément à ses propres ressources. En France, ses livres sont disponibles en papier (à la demande) et en format numérique, mais uniquement en ligne au Canada. Ce compromis lui permet toutefois d’éviter d’attendre après des éditeurs qui hésiteraient à se lancer dans un projet d’envergure s’échelonnant sur plusieurs tomes. Une question d’autonomie et de contrôle.

L’autrice-libraire

Julia possède un point de vue inusité sur la situation puisqu’elle est également libraire. Elle voit ainsi, de l’autre côté du miroir, la réalité de la gestion des nouveaux titres et la brièveté de leur vie sur les présentoirs. Tout comme Manon, elle mentionne le rôle important que jouent les blogueuses littéraires européennes pour faire découvrir leurs œuvres, bien que celles-ci semblent de plus en plus débordées par la tâche et accaparées par les éditeurs traditionnels.

À la rencontre des lecteurs et des lectrices

Malgré une situation déficitaire, Julia a décidé d’investir pour publier le livre qu’elle a toujours voulu lire, celui qui l’habite depuis l’adolescence. En s’inspirant d’Asimov, elle souhaite rendre la science-fiction accessible, particulièrement pour celles qui n’ont pas encore embrassé ce genre qui la passionne.

Découvrir Julia
julia santis dici scaled

Le Relakh © Julia Säntis

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Le Relakh – Les infiltrés © Julia Säntis

Manon Samson © Gracieuseté de l’artiste

Manon Samson : l’efficacité numérique

Manon Samson, également native de Shawinigan, a travaillé dans des firmes d’ingénierie avant de partir en Nouvelle-Calédonie, puis à Madagascar, avec sa famille pendant huit ans. Elle a publié trois livres dans de jeunes maisons d’édition, avant de reprendre ses droits et de se tourner vers l’autoédition. Elle a présentement huit livres à son actif, dont la saga Yianna qui marie le fantastique, la science-fiction et la romance. Le sixième tome de cette série vient d’ailleurs tout juste de sortir en décembre dernier.

Vivre de sa plume?

En embrassant le modèle d’affaires proposé par le service de publication directe du géant américain de l’édition Amazon Kindle, Manon pense réussir à générer assez de revenus pour en vivre. Grâce à plusieurs tutoriels et formations en ligne, mettre en vente un nouveau titre lui prend maintenant moins de 48 heures. En outre, elle a dû prendre le temps d’étudier les différents mécanismes de sa plateforme afin de trouver la meilleure stratégie pour en tirer parti. Par exemple, surprenamment, ses ventes d’exemplaires numériques ou physiques s’avèrent moins lucratives que ses profits réalisés par le biais du forfait illimité pour abonné·es  où elle est payée pour chaque page lue. Même s’il s’agit d’un modèle tourné vers le numérique, Manon se sert également du service d’impression à la demande pour commander de petits tirages servant lors d’événements littéraires.

Des histoires qui voyagent

Malgré le succès de sa démarche, Manon aimerait collaborer avec une maison d’édition d’expérience pour certains de ses projets. Si sa plateforme actuelle lui donne accès à un grand bassin de lecteurs·trices, principalement en Europe, elle croit que le réseau traditionnel du livre québécois lui permettrait de rejoindre davantage le lectorat d’ici avec ses histoires.

Découvrir Manon

Si vous souhaitez continuer la réflexion autour de l’autoédition et découvrir l’univers littéraire de Samuel, rendez-vous au Marché du printemps de Victoriaville les 22 et 23 avril et au Marché public de Shawinigan les 6 et 7 mai. Pour rencontrer Julia Säntis et Manon Samson, rendez-vous au Salon Littéraire Drummond le 23 avril prochain.

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