- Accueil
- Magazine
- Littérature
- La poésie… dans les mots d’Isabelle Dumais
Octobre est en cours et, comme autant de feuilles d’arbre qui se colorent, les mots des poètes d’ici et d’ailleurs teintent les rues, parcs, cafés, restaurants, bars et salles de spectacle de Trois-Rivières, ville du Festival international de la poésie depuis 1985, de l’Off-Festival de poésie depuis 2007 et fièrement nommée capitale de la poésie par Félix Leclerc.
Pour s’imprégner de cette effervescence littéraire, parlons poésie avec l’autrice et artiste visuelle trifluvienne Isabelle Dumais.
On naît poète ou on le devient?
On naît peut-être avec une faculté de ressentir plus fortement les choses, ou une manière de voir le monde un peu autrement, dans ses angles morts, toujours à vol d’oiseau, en contre-plongée ou à ras le sol. Mais on devient poète quand on le choisit, c’est-à-dire lorsqu’on décide de plonger dans le langage pour y sculpter des formes qui tentent d’exprimer ces ressentis ou ces visions singulières.
Racontez votre premier contact avec la poésie…
Il serait honnête de dire que mon élan vers la poésie a commencé bien tôt, dans l’enfance, d’abord avec la chanson. Très jeune, j’aimais écouter la radio dans ma chambre. Je me souviens par exemple, vers dix ans, danser sur la chanson Oxygène ; je m’amusais bien, mais je devinais aussi qu’il s’agissait là d’une métaphore et que l’appel d’air (pour reprendre les mots d’Annie Le Brun) que chantait Diane Dufresne était beaucoup plus large que ce qui me semblait au premier abord. C’est au cégep toutefois que je suis véritablement tombée en amour avec la poésie. Je découvrais entre autres avec celle d’Anne Hébert une poésie cette fois sans musicalité, à la fois très simple et exigeante. Quand je repense à ces vers d’Anne Hébert, je me dis que c’est peut-être là, au fond, que j’ai décidé d’écrire de la poésie : «Et je sens dans mes doigts / À la racine de mon poignet / Dans tout le bras / Jusqu’à l’attache de l’épaule / Sourdre un geste / Qui se crée / Et dont j’ignore encore / L’enchantement profond».
« Un poème réussi fait résonner quelque chose de vital en nous, nous change peut-être, nous agrandit certainement. »
On écrit pour soi ou pour ceux qui nous liront?
On écrit toujours à la fois pour soi et pour les autres. D’abord pour soi, croyant d’abord à la solitude radicale d’une expérience particulière, mais désirant tout de même la tirer un peu au clair pour soi-même, cherchant à exprimer l’inexprimable. Puis pour les autres, comme une bouteille lancée à la mer, au cas où quelqu’un peut-être se reconnaisse aussi dans cet indicible. D’ailleurs, combien de bouteilles avons-nous trouvées et ouvertes nous-mêmes, combien de livres avons-nous lus, combien de poèmes avons-nous découverts, ravis de ne pas être seuls à ressentir ce qui s’y trouvait?
Dans quel état d’esprit êtes-vous le plus prolifique?
J’écris avec plus d’ardeur quand je suis animée fortement par des élans contradictoires. L’écriture me permet alors d’essayer d’organiser en moi ces élans, de trouver peut-être une issue. Ces impulsions contraires peuvent être très concrètes (comment réaliser ces mille projets tout en me gardant des moments de repos? Dois-je aimer telle personne d’amour ou d’amitié?), mais abritent toujours au fond des questions existentielles (quel sens donner à ma vie? Qu’est-ce que l’amour?) J’écris pour m’inventer un sens à ce qui souvent n’en a pas, sans pour autant fixer ce sens. L’état d’esprit dans lequel je suis le plus prolifique est donc lorsque je me débats intimement dans ma vie avec l’insensé!
© Isabelle Dumais
Un poème réussi, c’est…
Un poème réussi, à mes yeux, c’est un poème qui crée en nous des affects forts et de la pensée juste, par la puissance des images qu’il arrive à évoquer dans une langue habilement maîtrisée, en peu de mots. Un poème réussi fait résonner quelque chose de vital en nous, nous change peut-être, nous agrandit certainement.
L’environnement idéal pour écouter une lecture de poésie?
La véritable rencontre avec la poésie se fait pour moi par la lecture intime et silencieuse d’un livre. Mais les lectures publiques sont certainement des occasions en or pour entendre les poètes qu’on aime ou pour en découvrir de nouveaux. Le Festival international de la poésie est en ce sens un rendez-vous fabuleux ; il y a quelque chose de magique à être réunis dans un bar pour prendre un verre ensemble en partageant des poèmes ; on se sent presque dans le repaire de La Société des poètes disparus (- rires). L’écoute est bonne. Et même s’il arrive qu’on parte dans la lune un instant, on est bercé par les mots, et fascinés par ce ravissement d’être simplement réunis là, autour de la poésie.
Votre plaque de la poésie préférée et pourquoi?
(Nous faisons référence à la « Promenade de la poésie », soit les quelques 400 plaques fixées à la façade de certains bâtiments au centre-ville de Trois-Rivières et sur lesquelles on peut lire des extraits de poème.)
Dernièrement, en marchant au parc portuaire, j’ai aimé lire cette plaque de la poète tunisienne Amina Saïd : «où nous sommes est notre firmament». Ce vers me rappelle simplement que la vie est toujours, pour nous, là où nous nous trouvons, et pas ailleurs. Je ne peux ressentir le monde que depuis là où se trouve mon corps. Je dois alors être reconnaissante d’habiter ce corps, même malade, là où il est; cette poussière d’étoile est ma place dans le firmament.
Quel est le pouvoir de la poésie?
En très peu de mots, la poésie exprime des sensations belles ou pénibles, souvent intenses, parfois sublimes ou étranges, et du coup, nous bouleverse de manière fulgurante en un instant. À chaque fois qu’on me pose la question, je reviens toujours aussi à Anne Hébert qui écrivait : «Je crois à la solitude rompue comme du pain par la poésie». En exprimant ces expériences les plus troubles, les plus vives ou les plus intimes qui nous sont normalement difficiles à communiquer, la poésie devient un partage et une communion ; nous constatons que nous appartenons à cette même humanité qui se débat avec les mêmes choses depuis la nuit des temps.