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25 mars 2023
Deuxième texte par Catherine Éthier, écrivaine en résidence du Salon du livre de Trois-Rivières
Bon alors avant de débuter ce deuxième grésillant moment de littérature, laissez-moi vous rappeler le grand concept derrière cette exquise ponte. Hier, sur la scène Radio-Canada, l’honorable Stanley Péan a diligemment pointé de la pulpe de son index aventurier le mot « accent » dans le roman-fusée Laideronie de Kareen Martel, une pépite parmi les galets, et ce mot, donc, est à cet instant précis devenu grand thème de mes prochains écrits.
Pas de ma carrière entière. Ce texte seulement.
Calmez-mous. Alors.
D’où c’est que tu viens? me demande-t-on souvent.
J’ai menti.
On me demande jamais ça.
Je suis pourtant de commerce agréable. L’aisselle rasée. L’aine entretenue. Le baccalauréat ès arts. Glissez-moi dans une cellophane avec une boucle jaune pâle et je m’offre fort bien dans un shower de bébé. Nez à nez avec les bouquets en fruits.
Eille! Quelle trouvaille, les bouquets en fruits, hum? So chic. SO DIFFERENT. Beaucoup de mangue. Edible arrangements, les bouquets que tu manges au lieu de mettre une paire de bas dans l’exhaus du char. Ça passe le temps. Pis t’as le bonus de revoir ta fleur de kiwi à la sortie, tu vis pas souvent ça avec des œillets.
Excusez-moi, je suis vulgaire. On me le dit souvent.
Mais d’où je viens, ça, personne ne veut le savoir. ÇA M’AGACE.
Greenfield Park.
Un nom de ville anglophone où l’on parle la langue du Mail Champlain. C’est vraiment un mail complet. Y’a tout. Un A&W. Une bijouterie. Un Caleçon vos goûts. Le cadavre béant des Ailes de la mode.
Quand j’étais jeune, j’aimais aller m’asseoir près du pianiste des Ailes de la mode. Un beau grand piano à queue blanc laqué, comme en cuir vernis mais pour les meubles. Y’avaient installé un banc expressément pour aller manger un cornet Laura Secord à côté du pianiste en queue-de-pie. Ça me donnait l’impression d’être riche riche riche, je gardais toujours mon petit chocolat pour la fin. Vous savez, le camay de Laura, cette friandise-bijou qu’y piquent dans ton cornet en te le remettant comme on remet son dauphin à Louis XIV?
C’était le bon temps.
On nous appelle les Greenfield parkers. Mais je préfère Champenoise. C’est écrit sur Wikipéda vous vérifierez laissez-moi tranquille.
J’ai honte, de venir de la rive-sud. Ça a pas d’envergure. On n’est pas attachants, près du Boulevard Taschereau. On n’a pas ça, nous-autres, des pieds de vent, de l’horizon, Pigalle ou un sous-marin pareil comme à Pointe-aux-pères. Notre terroir, c’est la façade du Winners. C’est nous, qui a eu la toute première.
L’ORIGINELLE.
Celle qui a inspiré toutes celles du reste de la province, comme en espèce de plâtre de paris avec un top arrondi pour la marquise; dans chaque ville, sa toute petite réplique du Boulevard Taschereau, l’endroit idéal pour aller périr parmi les bœufs. Un Brick, un New look, un Bouclair. Un Jack Astor’s. Bar. Et grill. Le paradis.
J’aimerais donc ça, parler comme dans Jean de Florette. La vue oùsque Gérard Depardieu en bossu était beau comme un biscuit Lu, un avec une bosse :
Je suis bossu, vous croyez que c’est facile? Mais y’a personne, là-haut? Y’a personne là-haut?
Notre Sylvester Stallone français, ça.
25 ans plus tard, cet acteur-là pissait dans une bouteille en plein décollage d’un vol Paris-Dublin, devant les passagers, l’agente de bord lui ayant poliment indiqué que les toilettes étaient fermées pour raisons de sécurité (ET DE DÉCOLLAGE).
« Je veux pisser, je veux pisser », aurait alors déclaré le monstre sacré du cinéma français, affirmatif du souhait et du transit.
Urètre assoiffé mais torse fier, Gérard aurait alors choisi de faire pipi dans une bouteille offerte par son voisin de siège, avant de se rasseoir illico presto sur ses miches-charcutières, gentilhomme des airs, déclarant avec drame être tout à fait désolé d’avoir, bien malgré lui, peut-être dégoûté un peu sur la moquette du Boeing, parce que qui ne commettrait pas de maladresse dans pareille situation, je vous le demande.
Chambellan, il aurait même proposé de nettoyer lui-même le tapis souillé du fruit de sa miction, une offre qu’on aurait déclinée. Quand tu dis UNE SOIE.
C’EST-CE GENRE D’ACCENT-LÀ, QUE J’AURAIS VOULU AVOIR.
L’accent de celui qui pisse dans son Fanta sans demander son reste, devant la veuve et l’orphelin, en gougounes entre Paris et Dublin. C’est cette saveur-là, qui me manque. Un mélange d’audace, d’ammoniac et de mortadelle.
En attendant, je me contente de ponctuer chacune de mes phrases du mot « actuellement », ma traduction libre de « actually », avec parfum de Chicoutimi et de mystère.
Je parle comme ça pour exister. Parce que sinon, on me verrait au travers.
Pour lire les autres textes rédigés par l’écrivaine en résidence, c’est par ici!