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- Le métier de projectionniste, un art perdu?

Derrière la salle de cinéma, un faisceau lumineux éclabousse l’écran pour nous raconter une histoire. Nous devons cette alchimie au métier de projectionniste, qui tend à disparaître à l’ère du numérique. En Mauricie, un homme garde bien vivante la mémoire de ce pan d’histoire cinématographique : Louis Filteau, « gars des vues » depuis plus de 40 ans, nous ouvre les portes de cet univers fascinant.
Louis, peux-tu nous décrire la journée type du métier de projectionniste tel qu’il était avant l’arrivée du numérique?
À l’ère de la pellicule, la première tâche primordiale était de faire dérouler tout le film entre ses doigts. Il était essentiel de vérifier qu’il n’y ait pas de cassures, de déchirures ou toute autre anomalie, sinon on se dirigeait vers la catastrophe. La pellicule pouvait se bloquer dans le projecteur, et on se retrouvait avec un magnifique « spaghetti » tout débobiné sur le sol de la minicabine de projection! Une des premières compétences d’un bon projectionniste était donc sa capacité à réparer à la perfection son film. Il devait aussi faire la mise au point (le focus) et ajuster le son. Lors de la représentation, il fallait effectuer les changements de projecteurs aux moments opportuns pour qu’ils soient indétectables dans la salle. C’est la magie du cinéma!
Qu’est-ce que tu préférais de l'ère de la pellicule?
Pouvoir regarder mes actrices et acteurs préféré·es défiler image par image entre mes mains devenait pour moi un trésor fabuleux. J’avais l’impression de me rapprocher un peu des grands réalisateurs que je vénérais. Ce qui était passionnant, c’était cette impression d’être beaucoup plus proche du « cinéma » à travers la pellicule. Le fait d’avoir à monter le film dans le projecteur, c’était concret, c’était vivant, tactile. C’était un vrai métier. Il fallait d’ailleurs suivre une formation de 500 heures pour y accéder!

Louis Filteau, aux côtés d’un ancien projecteur 35mm qui fait maintenant la fierté de sa salle à manger. © Gracieuseté
As-tu des souvenirs marquants liés à cette période?
Voici mon anecdote préférée, même si j’en ai honte! J’ai déjà inversé deux bobines d’un film de Woody Allen, Meurtre mystérieux à Manhattan. Ça a drôlement changé le scénario, parce que par ma maladresse, j’ai ressuscité une morte… Le pire dans tout ça, c’est que j’ai regardé les gens à la sortie du film, et personne n’est venu me voir, tout semblait avoir été clair pour eux. J’ai donc inversé des scènes bien avant Tarantino (rires)!
Quel est le rôle d’un·e projectionniste dans les salles numériques actuelles?
Maintenant, dans les cinémas commerciaux multisalles, il n’y a peut-être qu’un projectionniste… qui est sans doute appelé « technicien », car en fait, tout est automatique. Le projecteur part par lui-même et il ferme les lumières de la salle de façon autonome. Souvent, le projectionniste va quitter la cabine pour vaquer à d’autres tâches.
Découvrez ici la programmation complète de Ciné Trois-Rivières!

Créé par Louis, l’Espace cinématographique du Ciné Trois-Rivières est une exposition muséale permanente rendant hommage aux piliers du cinéma. © Gracieuseté
Comment s’est passée la transition technologique dans le métier?
Au départ, j’ai observé l’arrivée des projecteurs numériques dans les magasins, et je voyais qu’on s’en allait vers cette technologie. Puis les années ont passé, et c’est devenu irréversible. Ma peur était grandissante : mon métier se dirigeait tout droit vers l’ère jurassique. Je voulais continuer avec mes bobines de films, la vieille tradition cinématographique et l’image chaleureuse de la pellicule. Mais tout a déboulé très vite : nous avons été contraints de projeter des films en DVD ou BLU-RAY, puisque les distributeurs ne recevaient plus les films sur pellicule.
Selon toi, qu’est-ce qu’on a gagné (ou perdu) avec l’automatisation et le numérique?
À mon grand étonnement et malgré mes nombreuses craintes, on a eu tout à gagner. Surprise! Je ne retournerais en arrière pour rien au monde. L’image est magnifique, les tonalités de couleurs sont infinies, le focus est toujours parfait, la sonorité est impeccable et même dans les silences, aucun son n’est perceptible.
Qu’est-ce qui te pousse à continuer dans ce rôle après toutes ces années?
C’est tout simplement le plus beau métier au monde. Encore aujourd’hui, je suis étonné de voir des films différents aux scénarios captivants et incroyablement bien faits. C’est une chance inouïe de voyager aux pays imaginaires des réalisateurs. J’en redemande sans cesse. D’ailleurs, je dis souvent à la blague qu’à mon décès, on va m’enterrer sous la cabine de projection! (rires)
Le métier de projectionniste, tel que le décrit Louis Filteau, incarne bien plus qu’un simple rôle technique. C’est un lien intime avec le cinéma et une responsabilité envers les spectateurs. Aujourd’hui, même si le numérique a transformé les pratiques, la ferveur intacte de Louis nous rappelle que la magie du septième art, elle, ne s’éteindra jamais.
