5 septembre 2024

Les Botuliques : la sauce théâtrale copieusement relevée d’Annye Villemure

Par Cindy Rousseau

Contenu créé en partenariat avec Culture Shawinigan

Sous le couvert d’une séance de cannage de sauce à spag d’apparence inoffensive, la pièce Les Botuliques révèle avec un humour piquant à souhait les relations toxiques qui mijotent au sein d’un clan familial féminin. À quelques jours de la reprise du spectacle au Centre des arts de Shawinigan – le même qui a conquis le public du Théâtre des Gens de la Place à l’hiver dernier – cuisinons à feu doux Annye Villemeure, la créatrice shawiniganaise de ce vif succès.

Annye Villemure, autrice et metteure en scène des Botuliques, aux côtés de Cindy Rousseau, comédienne dans Les Botuliques et rédactrice pour DICI. © Gracieuseté

Comment l’idée des Botuliques a-t-elle germé en toi? Éclosion soudaine ou mûrissement de longue date?

Elle n’a même pas eu le temps de germer!  C’est un ami qui a vu passer les inscriptions pour le programme de parrainage de l’Union des écrivains québécois, et qui m’a carrément forcée à m’inscrire! Je n’avais que trois semaines pour écrire une vingtaine de pages, mais rien à ressortir des vieux tiroirs. Je me suis assise devant mon ordinateur, en fixant le vide et en espérant un éclair de génie. Mon regard s’est arrêté sur le pot Masson qui traînait sur le comptoir. J’ai tout de suite pensé à des femmes qui faisaient du cannage et aux comédiennes Nathalie Whelan et Rollande Lambert qui se crêpaient le chignon. Je suis bien contente que ma cuisine était mal rangée cette journée-là!

« La famille, on ne la choisit pas », lance avec résignation le personnage de Doris au commencement de la pièce. À ton avis, qu’est-ce qui pousse ces cinq femmes d’une même famille à se réunir pour faire de la sauce à spaghetti, malgré qu’elles soient à couteaux tirés?

La tradition. Je crois que c’est un peu leur façon de garder la mère de Doris en vie.  Et c’était une « vieille grébiche », comme elles le disent; elles la gardent donc en vie avec sa recette de sauce et leurs propos cinglants! Aussi, au fond, elles s’aiment toutes, ces femmes-là. Elles ne s’appelleront jamais pour prendre un café, probablement par orgueil, mais cette réunion annuelle de cannage est une occasion assurée de se voir. Elles vont toujours se dire leurs quatre vérités, mais c’est leur façon de s’aimer maladroitement. Et surtout, avec des mères comme Doris et France, tu as intérêt à être présente quand c’est la tradition, si tu ne veux pas recevoir des appels la nuit pour te faire dire combien tu les déçois!

© Mario Groleau

La pièce traite de plusieurs sujets tabous ou trop peu abordés comme la dépression, la charge mentale des mères, la difficulté à tomber enceinte, la monoparentalité et l’adultère. Pourquoi l’envie d’éplucher et de mordre à pleines dents dans ces thèmes en particulier?

On en parle trop peu! Ce sont des réalités qu’on vit tous un peu dans la honte ou souvent, dans la solitude. C’est correct de trouver ça difficile d’être mère. C’est correct d’avoir des passes plus difficiles mentalement. C’est correct de ne pas vouloir être en couple ou de ne pas vouloir d’enfants. Si je prends, par exemple, Ariane qui a de la difficulté à tomber enceinte; elle fait des tests de grossesse à répétition… Parfois même, plusieurs par jour! Ça en devient une obsession et elle n’en parle à personne. Ben ça, je l’ai vécu! Je n’en parlais à absolument personne parce que je me disais : « On va penser que je suis en psychose! » À un moment donné, j’en ai parlé à une amie. Elle m’a avoué qu’elle vivait la même chose. Puis, à d’autres amies ensuite. Personne n’en parlait. J’ai voulu écrire là-dessus pour que les femmes puissent se dire qu’elles n’étaient pas seules. J’ai d’ailleurs reçu quelques témoignages de spectatrices à la suite de ce monologue d’Ariane!

Ton texte met aussi sous la loupe le thème de la rivalité entre les femmes. Selon toi, d’où vient cette propension féminine à se prendre le chou et se lancer des tomates?

Je me pose souvent la question… Je trouve ça malheureux. J’aurais envie qu’on se soutienne entre femmes. Qu’au lieu d’envier les autres, on en soit fières. Qu’au lieu de se comparer, on se prenne comme inspiration. La lumière de l’autre ne nous empêche pas de briller! On se met tellement de pression entre nous. Comme le dit Magalie à sa mère dans la pièce, lorsqu’elle parle du regard des autres sur son corps qui a changé après la grossesse : « Les seules fois où j’ai vu un regard de dédain, c’était des femmes qui me regardaient. Des femmes comme toi, qui aiment donc ça se juger entre elles au lieu de se dire : « Regarde-la donc, elle! Elle est comme moi! » À chaque fois, on entendait des femmes dans la salle lancer un « Ouais. » Je pense que ça en dit long.

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© Mario Groleau

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© Mario Groleau

À laquelle des cinq femmes de la pièce t’identifies-tu le plus, et pourquoi?

Définitivement, Magalie! Pratiquement tout le personnage est basé sur moi. D’ailleurs, « fun fact » : Magalie est le seul personnage qui est content d’être là. Elle est juste heureuse de sortir de chez elle et d’avoir une journée pour elle, loin de ses responsabilités de maman (mais elle reçoit des appels de son chum tout au long de la pièce!) Plus la pièce avance, plus elle est sur le party! C’est basé sur ma première année au sein du Théâtre des Gens de la place. Quand je suis arrivée dans la troupe, c’était la première chose que je faisais pour moi seule depuis que j’étais maman. C’était mon petit moment à moi, et j’avoue que je collais un peu à chaque répétition pour profiter du calme et avoir une couche ou deux de moins à changer. Lors du party de production de la pièce dont je faisais partie (le mot « party » étant devenu bien lointain dans mon vocabulaire), je suis arrivée en me disant : « YOLO JE SUIS UNE MÈRE EN CAVALE!!! » Je l’ai échappé solide! Il y avait une autre représentation le lendemain… Une pièce de trois heures… C’était pénible.

La pièce contient un lot inouï d’expressions, de jeux de mots et de lapsus aussi colorés que saugrenus! Où déniches-tu ces savoureuses pépites de vocabulaire?

Certaines expressions me sont venues comme ça, mais j’avais fait un appel à tous sur les réseaux sociaux, demandant des « expressions de matante ». Nathalie (qui interprète Doris) m’a envoyé un document avec toutes les expressions de sa mère! Je trouvais ça tellement hilarant, j’en ai gardé plusieurs dont « Cristal palace », une expression qui fait office de sacre. Et je trouve ça très touchant puisque c’est justement le personnage de Nathalie qui les dit.

© Mario Groleau

L’humour et le malaise sont deux ingrédients qui vont de pair dans la pièce. Qu’est-ce qui te plaît dans cet heureux mélange?

J’adore les contrastes. J’ai voulu faire pareil pour la mise en scène : le décor est une maison super chaleureuse avec des chats disposés un peu partout et un cadre au mur où il est inscrit que les règles de la maison sont de s’aimer et d’avoir des propos respectueux (alors qu’elles n’en ont aucun!) Aussi, les comédiennes portent toutes des pantoufles en fantex. Se dire des paroles très dures en pantoufles de grand-maman, ça me fait vraiment rire comme image! Pour le texte, j’aime qu’on ne soit pas certain de si on doit rire ou pleurer. C’est d’ailleurs ce qui fait la beauté des Botuliques selon moi : à certains passages, on se sent confrontés ou mal à l’aise, puis une réplique plus tard, on pleure de rire!

Et enfin, Annye, la question la plus importante d’entre toutes… Avec ou sans champignons, ta sauce à spag?

AVEC. Mais dites-le pas à mon chum, les champignons sont bannis de la maison depuis qu’il habite chez nous.

Envie de découvrir Les Botuliques? Sachez que la pièce sera présentée le 14 septembre 2024 à 20 h au Centre des arts de Shawinigan. Pour acheter vos billets, c’est par ici.

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