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4 janvier 2024
À la vie, à la mort : Elvis Presley et ces gens qui continuent à le faire vivre
La dernière fois que j’ai aperçu Elvis Presley, c’était au restaurant-déjeuner La Binerie Chik. Pas le vrai, évidemment, mais plutôt un Elvis en carton, grandeur nature, qui servait d’hôte à l’accueil de ce restaurant aux allures de vieux diner, où trônent les affiches de Coca-Cola et de vedettes de l’âge d’or d’Hollywood.
Avec sa moue et sa dégaine de star rebelle, Elvis Presley est devenu plus qu’un simple chanteur : c’est littéralement une icône emblématique de la culture rétro. Et aujourd’hui, 46 ans après sa mort, son influence continue de se faire sentir. Véritable inspiration pour plusieurs rockeur·euses qui l’ont suivi de près, son répertoire a été repris par plus d’un·e : pensons notamment aux Dead Kennedys et à leur reprise punk de « Viva Las Vegas ». En revanche, ce sont surtout ceux et celles qui le personnifient qui attirent l’attention. Parce que oui, encore aujourd’hui, de nombreuses personnes continuent de revêtir ses mythiques habits pailletés et d’incarner l’esprit du King, que ce soit dans des tournées à grand déploiement ou même pour chanter l’amour entre deux unions rapides à Las Vegas. Un art complexe, qui demande certainement du talent, de l’œil et de l’attitude, mais qui peut frôler le grotesque lorsque mal exécuté. Mais entre le vrai Elvis et Elvis Gratton, y a-t-il un juste milieu? Qui sont ces gens qui continuent à faire vivre le King pour le plaisir de tous et de toutes? Qu’est-ce qui caractérise un bon personnificateur d’Elvis Presley? En l’honneur de l’anniversaire du chanteur, tentons d’y voir plus clair.
Les « Kings » d’aujourd’hui
Vous ne serez peut-être pas surpris·es d’apprendre que lorsqu’on tape « imitateur » ou « personnificateur » dans un moteur de recherche, on obtient « imitateur elvis », « imitateur elvis québec » et « personnificateur elvis » dans les premiers résultats. Moi-même, lorsque je pense à l’idée de personnifier ou imiter une icône populaire, je pense d’abord à Elvis Presley. D’ailleurs, il existe même un grand concours pour celles et ceux qui personnifient le King de manière professionnelle (les Elvis Tribute Artists ou ETA’s) : le Ultimate Elvis Tribute Artist Contest. Depuis 2007, ce grand concours annuel organisé par le Elvis Presley Enterprises, rassemble les meilleurs personnificateurs du King à Graceland, lors du Elvis Week (semaine de célébration ayant lieu en août, autour de l’anniversaire du décès d’Elvis). Venus d’un peu partout dans le monde, les ETAs choisis s’affrontent pour gagner le titre d’Ultimate Elvis Tribute Artist. Avis aux intéressés : pour l’édition 2024, le gagnant se méritera un prix de 20 000$ (US), en plus d’un contrat pour performer avec le Elvis Presley Enterprises. Ce n’est pas n’importe quoi!
Cela dit, pour rencontrer un vrai personnificateur du King, je n’aurai pas besoin de me rendre jusqu’à Memphis ou Las Vegas (mais j’y serais allée volontiers!) En Mauricie, nous avons la chance de compter sur au moins deux personnes qui ont personnifié l’artiste de manière professionnelle : Martin Fontaine et Elvis Lajoie. Au moment où je rédige cet article (mi-décembre 2023), Martin Fontaine est justement sur la scène du Théâtre Saint-Denis de Montréal, pour Elvis Experience : L’acte final / Blue Christmas. Même si le fondateur du Memphis Cabaret avait dit dans un article de La Presse publié en 2022 qu’il accrochait ses jumpsuits pailletés pour de bon, il semblerait qu’il soit ouvert à faire quelques retours ponctuels pour le bonheur de tous et de toutes.
Elvis Lajoie devant une partie de son impressionnante collection d’objets à l’effigie du King. © Étienne Boisvert
La maquette de Graceland réalisée par Elvis Lajoie alors qu’il n’avait que 13 ans. © Étienne Boisvert
Graceland, Trois-Rivières
Après avoir regardé le documentaire à son sujet réalisé par Joannie Lafrenière, je me rends chez Elvis Lajoie pour poursuivre ma quête. J’arrive devant sa demeure iconique de Pointe-du-Lac : une réplique de Graceland, en plus petit. Depuis trois décennies, elle attire les foules à l’occasion de l’Halloween, où Elvis Lajoie et ses collaborateur·trices costumé·es distribuent des bonbons aux familles de passage. C’est à l’âge de 33 ans que le célèbre personnificateur de la région a approché un contracteur avec le projet. Elvis Lajoie me confie que c’était un rêve de jeunesse.
Lorsque j’arrive dans son mini-musée consacré à Elvis, l’une des premières choses qu’il me montre c’est la maquette de Graceland qu’il avait fabriqué à l’âge de 13 ans. C’est à cet âge qu’il a découvert le King, lors de la diffusion du spectacle Aloha from Hawaii. « On avait pas beaucoup d’argent donc on avait une vieille télévision. Les réseaux rentraient pas bien à cette époque-là. Je voyais l’image, mais j’avais pas de son. Ma sœur, à Trois-Rivières-Ouest, elle avait le son, mais pas d’image. Donc, j’écoutais le show par téléphone ». C’est un jour qui a changé la trajectoire de sa vie.
Pour Elvis Lajoie, le King symbolise plusieurs choses : la beauté, le glamour et la rigueur. Elvis Presley avait son public à cœur et s’assurait toujours de donner le meilleur spectacle possible : « Il m’a appris à respecter le public, le respect du show, leur en donner pour leur argent. La force de vivre en show… » Encore plus important : l’œuvre du King l’a transformé et guéri : « C’est Elvis qui m’a sauvé de ma jeunesse malade […] Le fait de chanter. Faut avoir du souffle! Mon asthme a pris le bord. »
Entouré d’amis, Elvis Lajoie a reproduit une célèbre photo d’Elvis et de sa «Memphis Mafia». © Étienne Boisvert
L’art d’être un bon personnificateur
C’est lorsqu’il a eu la chance de voir le King en vrai, lors de ses derniers spectacles en 1977, qu’Elvis Lajoie a vu l’homme derrière le showman. Un artiste rigoureux qui performe, mais qui reste humain. Ça a changé sa manière d’incarner Elvis: « Quand tu imites quelqu’un, on dirait que tu deviens un clown. Tu en fais trop. Tu n’es pas toi. De l’imitateur au personnificateur, je suis resté moi-même. J’arrangeais les tounes pour qu’elles restent à la mode, pour que les gens continuent à aimer Elvis ». Lorsque le King est mort, Elvis Lajoie a arrêté de faire des spectacles pendant un an pour vivre son deuil et prendre du recul. Lorsqu’il a fini par revenir sur scène, il s’est permis de déroger des attentes qui pesaient sur lui en ajoutant sa signature au spectacle. Aujourd’hui, Elvis Lajoie accepte d’ailleurs ses cheveux blancs et ne les teint plus en noir, comme il le faisait auparavant.
« Le fait d’avoir vu le King, je me suis dit : bon, il n’est pas toujours en train de shaker de la jambe tout le long des tounes et de faire sa petite bouche croche tout le temps. Il riait, il se trompait, il tombait par terre… »
Parmi le nombre impressionnant de disques et d’objets à l’effigie du King que possède Elvis Lajoie, on compte une reproduction de la plaque du Elvis Presley Boulevard à Memphis, Tennessee.
Au milieu de tous les disques, magazines, photos et autres objets à l’effigie du King, j’en conclus donc qu’un·e bon·ne personnificateur·trice se doit d’avoir « une âme » ; quelque chose qui dépasse l’authenticité des costumes, la justesse des mouvements, la reproduction parfaite d’un spectacle de l’artiste. Peut-être que les meilleurs ETAs – même s’iels ont l’apparence, la voix et le talent – sont ceux et celles qui réussissent à y ajouter un peu « d’eux ou d’elles-mêmes », qui rendent le personnage scénique plus humain et moins figé dans une série de codes à respecter. Après-tout, aussi mythique et grandiose qu’il peut l’être pour plusieurs, Elvis Presley n’était pas un être infaillible et immuable (vous regarderez les films Priscilla, de Sofia Coppola et Elvis de Baz Lurhmann. De « Heartbreak Hotel » (1956) à « Burning Love » (1972), le chanteur est passé par différents styles vestimentaires et musicaux. Ses spectacles ont aussi pris de l’ampleur. Lors de ses dernières années, il était loin du jeune homme figé à jamais dans son heure de gloire, qui trône à l’entrée de la Binerie Chik.
« Il y en a gros qui me disent : tu continues ce qu’Elvis aurait probablement fait. »