8 février 2024

Parle-moi de ton métier : dix questions au chef d’orchestre Alain Trudel

Par Judith Mc Murray

Depuis bientôt un an, Alain Trudel, chef d’orchestre de renommée internationale, a été nommé directeur artistique de l’OSTR, devenant ainsi le quatrième à occuper le poste. On l’a rencontré afin d’en apprendre plus sur le rôle de chef d’orchestre et son parcours en musique.

Quelle est la nature exacte du rôle de chef d’orchestre? Quelle est son importance au sein de l’orchestre?

« Moi la façon dont je vois le métier de chef d’orchestre, c’est un peu la courroie de transmission dans la partition que tous les musiciens ont travaillée. L’idée, c’est de mettre tout ça ensemble puis que les gens soient non seulement confortables, mais qu’il y ait un sentiment d’unité dans ce qu’on fait. On peut le comparer, bien que toute comparaison soit boiteuse, à une équipe de sport, comme une équipe de football, par exemple. Le chef ne joue pas d’un instrument pendant le concert, donc c’est plus comme le coach. Tout comme une équipe de sport, si on est mal préparé, il n’y a pas de cohésion et le message ne passe pas bien pour les gens dans la salle. Donc, mon travail, c’est un peu ça. Ce dont on a besoin dans un orchestre, c’est d’unifier notre pensée ».

Il ajoute, « j’aime d’ailleurs beaucoup comment le métier a évolué dans le dernier siècle. On est passé d’une autocratie à un travail de collégialité. Même si le chef d’orchestre prend des décisions, il le fait en toute collégialité avec ses collègues. C’est super agréable comme métier. Moi, j’adore », ricane-t-il.

Quel est le plus grand défi d’un chef d’orchestre selon vous?

« Le plus grand défi du chef d’orchestre je pense que c’est d’être à la fois exigeant, tout en conservant une atmosphère où les gens se sentent en sécurité. C’est sûr que là où il y a de la performance, il y a de la pression, mais il ne peut pas y avoir juste ça parce que ça empêche de laisser place à la créativité. D’un autre côté, si on fait juste se flatter, ça va manquer de rigueur. Donc, il faut trouver le juste milieu pour bien motiver ses troupes, entre la rigueur et le bonheur finalement ».

Qu’est-ce qui fait un bon chef d’orchestre selon vous?

« Je pense que c’est quelque chose qui manquait il y a longtemps, c’est-à-dire un peu plus d’empathie. Quelque part, il faut avoir de la bienveillance, mais comme je le mentionnais tantôt, il faut tout de même avoir de la rigueur. Il y a des attentes qui sont claires, puis en même temps, il faut être bienveillant envers les gens qui essayent d’atteindre ces attentes-là. Naturellement, pour un chef d’orchestre, il faut dépasser le stade de juste la mise en place. Il faut avoir une vision. Ce que je dirais, c’est qu’il faut voir en dedans de nous le mélange entre la liberté et l’architecture d’une pièce ».

Alain Trudel dirigeant pour la première fois l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières à l’occasion du concert inaugural de la saison 2023-2024 de l’OSTR. © Carl Salvail

Comment votre intérêt pour la musique et les arts est-il né?

« Mes deux parents étaient musiciens jazz, mais ils ne faisaient déjà plus de musique quand j’étais jeune parce que c’était l’époque où il y avait des cabarets, puis avec la montée de la musique préenregistrée, ils ont pas mal perdu le travail qu’ils avaient. Mon père était à la batterie, ma mère était maitresse de cérémonie et chanteuse de cabaret, donc ce sont des métiers qui se sont complètement perdus. Ils sont passés d’être un besoin pour tous ces endroits-là à être quasiment un luxe. C’est triste parce que pour eux, ça a été une grande peine d’amour. La grande peine d’amour de mes parents, c’est d’avoir arrêté leur métier de musiciens ».

« C’est drôle parce qu’ils étaient vraiment inquiets toute ma vie. Je dirigeais ou je jouais à travers le monde et mon père me disait encore ‘’as-tu un plan b?’’, ‘’j’ai joué à Vienne cette semaine, puis je m’en vais à Tokyo, je pense que je vais être correct’’. Donc moi, quand j’étais jeune, même si mes parents étaient musiciens, il n’y avait pas tant de musique dans la maison. Dans le quartier où j’ai grandi, qui aujourd’hui est le Plateau Mont-Royal, on ne savait pas trop quoi faire avec nos amis. On avait vu une annonce pour un groupe de cuivre, un peu comme une fanfare qui s’appelait Les Rhythmiques de Montréal. Puis, c’était un truc bénévole pour les ados du quartier. Il y avait peut-être 60 jeunes là-dedans. C’était une initiative pour les garder un peu en dehors de la rue, puis en même temps leur apprendre quelque chose et développer une passion. Puis, on allait là trois fois par semaine. Donc, j’ai commencé à jouer là. Moi, je voulais jouer de la batterie comme mon père, mais elle n’était plus disponible… Finalement, je me suis retrouvé au trombone à pistons. Je me suis dit que c’était correct. De toute façon, ce que je voulais c’était d’être avec mes amis, c’était un désir d’être en communauté, de faire quelque chose ensemble. Ce qui n’a dans le fond jamais changé parce qu’en orchestre on fait de la musique en communauté, pour notre communauté ».

Quel a été votre premier contact avec la musique classique?

« Première pièce classique que j’ai jouée, c’était justement là aux Rhythmiques de Montréal. On avait fait la 5e Danse hongroise de Brahms. Ensuite, je cherchais un endroit pour avoir des cours, mais on ne pouvait pas me payer des cours privés parce qu’on n’avait pas de sous ma mère et moi. J’ai donc auditionné au conservatoire, puis je me suis retrouvé à entrer au conservatoire de Montréal! À l’époque, c’était gratuit, mais il fallait être choisi. J’ai commencé à étudier le trombone là-bas. En même temps, c’était un peu compliqué parce qu’il fallait avoir des permissions pour pouvoir y aller pendant la journée, donc j’ai changé d’école secondaire. Je me suis retrouvé à l’école Joseph-François Perrault. C’était une école à vocation musicale dans le quartier Saint-Michel. Puis c’est là que j’ai rencontré mon mentor Monsieur Raymond Grignet qui était le chef de l’orchestre là-bas. Il y avait aussi Monsieur Gérald Mac Ley qui nous apprenait plus la chorale et l’appréciation. J’ai toujours composé un peu de musique dès que j’ai commencé à jouer. J’écrivais et je jouais. Puis j’allais lui montrer mes pièces et il m’encourageait. J’aimais tellement la composition, comment les œuvres étaient faites, une grande curiosité. C’était quelque chose… Il y avait l’école, puis les répétitions avant l’école, après l’école, le conservatoire. C’était un rêve pour un jeune comme moi qui n’avait pas de moyens du tout. Mon premier trombone, j’ai passé le journal pendant 3 ans pour me l’acheter. Ce n’était pas une grande qualité, mais quand même », raconte Alain Trudel.

Qu’est-ce qui vous a amené à troquer le trombone pour la baguette?

« Ce qui est arrivé c’est qu’à l’orchestre de l’école, étant au trombone, je ne jouais pas tout le temps donc je regardais la partition. Puis le chef a vu ça et il m’a dit ‘’veux-tu diriger?’’. Moi j’étais trop gêné pour dire ‘’non, je voudrais composer’’, donc j’ai dit ‘’ok’’. Puis c’est vraiment comme ça que j’ai commencé à diriger, c’était à l’école secondaire. C’est un peu un quiproquo finalement parce que ce n’est pas ça que je voulais faire. Je trouvais ça un peu présomptueux de dire que je voulais composer. Alors ça a commencé comme ça ».

Comment en êtes-vous venu à diriger l’OSTR?

« J’ai continué de jouer du trombone tout en dirigeant des petits groupes ici et là. Puis, j’ai toujours développé ces deux côtés de ma carrière. Avec le temps, il y a eu des postes qui ont ouvert au Canada… Il y a un poste qui s’est ouvert à Windsor. Il y a un poste qui s’est ouvert à Victoria ».

Il poursuit, « finalement, on m’a engagé à Toronto pour diriger au Centre national des Arts. Les gens se sont parlé, puis quand l’orchestre de Radio-Canada se cherchait un chef, ils me l’ont offert. Puis ça a continué comme ça. J’ai eu d’autres postes de fil en aiguille en travaillant tout le temps, et ce, jusqu’à l’OSTR. Cependant, on ne peut pas s’improviser chef d’orchestre parce que le répertoire est tellement immense. Il faut avoir joué dans différents orchestres. Voir d’autres chefs d’orchestre à l’œuvre aussi c’est nécessaire ».

Avez-vous des sources d’inspirations ou des modèles dans votre travail?

« Les différents professeurs que j’ai eus : Raymond Grignet, Gérald Mac Ley et Joseph Zuskin lui qui était du conservatoire. C’est drôle parce que c’était plus une influence de vie. Mon père était peu présent dans ma vie donc, ils étaient des figures un peu paternelles et bienveillantes. C’est important ça… C’étaient eux mes modèles à l’époque. Puis, je dirais que du côté des idoles de musique, il y a Rostropovitch le violoncelliste, John Coltrane le saxophoniste, Claudio Abbado le chef d’orchestre, puis comme compositeur, je dirais Beethoven et Mahler. Ce sont mes meilleurs ».

Alain Trudel dirigeant pour la première fois l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières à l’occasion du concert inaugural de la saison 2023-2024 de l’OSTR. © Carl Salvail

Qu’est-ce qui distingue l’OSTR des autres orchestres selon vous?

« L’OSTR a sa propre personnalité, sa propre définition. C’est rare! Ça a l’air de rien, mais c’est la chose la plus difficile à trouver sa raison d’être, mais l’OSTR a ça depuis toujours. Donc, c’est un orchestre que tout le monde respecte, que tout le monde connait. Puis, ça a tellement été porté avec amour, d’abord avec Gilles Bellemare, puis Jacques Lacombe. Donc, ce sont des gens qui ont été là plusieurs années et qui ont travaillé fort. Puis, les musiciens de l’orchestre, ce sont des musiciens qui sont là depuis longtemps. Donc, il y a vraiment un sentiment d’appartenance à l’orchestre ».

Avez-vous une recommandation culturelle du moment à nous faire?

« Bien sûr, venez voir l’OSTR! Je vais prêcher pour ma paroisse. Le prochain concert de l’OSTR, on va faire du jazz avec l’orchestre. Donc de retour à mes premiers amours. En plus je vais jouer et diriger. Il y a même Lorraine Desmarais qui va se joindre à nous dans ce concert-là. C’est différent de ce qu’on fait normalement et c’est ce qui est le fun… En gros, ce que je vous recommanderais c’est de ne pas se gêner d’aller voir des manifestations culturelles, mais pas juste celles qui sont de niveau international et professionnel. Ce qui se fait chez nous : aller voir les musées, aller voir de la danse, encourager nos artistes. Tout ça, je trouve ça vraiment important. Puis, on découvre pas mal de choses souvent. Il ne faut pas oublier qu’une culture, notre culture, c’est nous qui la bâtissons. Ça veut dire que ce ne sont pas juste les artistes, mais ce sont les gens qui vont aux concerts, qui vont aux musées… La culture, on la bâtit ensemble », conclut-il.

Alain Trudel présentera le 17 février prochain à la Salle J.-Antonio-Thompson une soirée jazz dans le cadre des Grands Concerts de l’OSTR. Pour l’occasion, le chef d’orchestre recevra la pianiste de jazz Lorraine Desmarais. Au programme, la musique de Duke Ellington, Georges Gershwin, Leonard Bernstein, Glenn Miller et plusieurs autres. Pour plus d’informations, c’est par ici.

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