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- Cabaret Noir : exister pleinement ensemble
Après avoir achevé un cycle de quatre créations, Mélanie Demers a le vent dans les voiles. La chorégraphe, gagnante du Grand Prix de la Danse de Montréal (en 2021), verra ses dernières œuvres partir sur la route, au courant de la prochaine année. L’une d’entre elle, Cabaret Noir, s’arrêtera le 25 février prochain à la salle Anaïs Allard-Rousseau à Trois-Rivières.
À la fois célébration et essai, la dernière création de Demers propose une réflexion sur la pluralité de l’expérience afro-descendante, en prenant la forme d’un cabaret désinvolte où les numéros mélangent danse, musique et théâtre. Rencontre avec Mélanie Demers, chorégraphe et directrice artistique de la compagnie MAYDAY Danse.
Mélanie Demers et Florence Blain Mbaye © Sophie El Assaad
Un espace pour se réunir
Mélanie Demers a débuté la création de Cabaret Noir, à l’automne 2020, à l’occasion d’une résidence de création au Théâtre Prospero. Dans la foulée de la mort de George Floyd et des soulèvements du mouvement Black Lives Matters, l’équipe du théâtre a invité la chorégraphe à venir «réfléchir dans une perspective théâtrale» aux thèmes de l’inclusion et de la représentation. Mélanie Demers a eu l’envie de «réunir des gens autour de l’idée d’être ensemble et de l’expérience noire ou afro-descendante». Pour le projet, cinq interprètes de différents horizons artistiques se sont joints à elle: Stacey Désilier, Vlad Alexis, Florence Blain Mbaye, Paul Chambers et Anglesh Major. Ensemble, iels ont notamment épluché les livres ayant contribué à forger l’identité de la chorégraphe. Parmi ceux-ci, on y retrouve les mots de Dany Laferrière, Maya Angelou, Frantz Fanon, Rodney Saint-Éloi et même l’album Tintin au Congo de Hergé. Cet exercice a mené à la création de la première scène du spectacle où chacun d’entre elleux lient un passage au hasard d’un de ces «textes fondateurs», avant de le lancer sur scène. Cette scène aux allures d’autodafé littéraire, donne le coup d’envoi à Cabaret Noir, en liant les lectures aléatoires des interprètes dans une «parole commune».
La pluralité de l’expérience afro-descendante
Il s’agit du deuxième projet où Mélanie Demers fait appel à une équipe non-mixte. Dans La Goddam Voie Lactée, présenté l’hiver dernier à Trois-Rivières, la chorégraphe avait réuni une équipe de création entièrement féminine. Le spectacle portait sur la pluralité du féminin. Mélanie Demers soutient que l’expérience de création en non-mixité a permis à la singularité et la complexité du vécu de chaque interprète de s’exprimer «alors que, quand tu te sens tout seul de ta race, de ta caste, de ton genre… C’est comme si tu as le fardeau de devoir représenter tout le monde». Une impression que son équipe et elle ont fréquemment ressenti lors de collaborations artistiques, étant souvent «la seule personne noire d’un groupe». Dans Cabaret Noir, la non-mixité a permis de s’affranchir de ce poids en célébrant la pluralité des expériences de chacun·e, les désaccords, les divergences d’opinion et ainsi, se délester de la pression d’être «le porte-étendard, le symbole d’un groupe».
De gauche à droite : Paul Chambers, Stacey Désilier, Anglesh Major, Florence Blain Mbaye, Mélanie Demers et Vlad Alexis © Sophie El Assaad
Vlad Alexis © Cloé Pluquet
Là où le pouvoir est
Créatrice elle-même métissée, Mélanie Demers a toujours été inclusive dans le choix de ses interprètes: «Je vais toujours mettre ensemble des gens qui viennent de partout. Ça m’intéresse de voir comment les différences contribuent à une espèce d’unisson, qui est toujours en train de se redéfinir, parce qu’il n’est pas monolithique.» Même si elle note une amélioration par rapport à la représentation des artistes de la diversité culturelle et un réel désir d’être plus inclusif, elle mentionne que certaines initiatives sont parfois maladroites et tombent un peu dans le tokénisme. Par contre, la chorégraphe ajoute qu’il s’agit «d’étapes nécessaires pour donner de l’espace et de l’espoir à plusieurs gens». La prochaine étape, selon elle, serait que les femmes et personnes racisées soient plus présentes dans des postes de pouvoir, notamment à la tête des festivals et des salles de spectacles. Qu’iels soient parmi celleux «qui ont le pouvoir de changer les choses».
En attendant, Mélanie Demers ne s’empêche de rien. À travers ses œuvres avec MAYDAY Danse, elle prend les rênes des changements qu’elle souhaite voir. En créant toujours de manière authentique et fidèle à ses valeurs.